Nicolas Rozier
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Villiers de L’Isle-Adam

10/25/2021

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Villiers de L’Isle-Adam n’entrait pas dans l’au-delà immédiat des rêves, il y était déjà, en portrait et en pied, en titres et en textes, embué de nacre. Aborder Villiers, l’homme et l’œuvre, appelle à tort un menton levé ou un serrement de mâchoire ; il y faut un cœur nu et qui se souvient de l’avoir été davantage, dans quelques limbes héroïques où, encore en devenir, la future empreinte de nous-même nous appelle. Villiers suscite le point d’honneur. S’il ne l’invente pas, il l’arrache à sa léthargie et jamais n’y forfait. A propos de Villiers, on serait tenté de ne filer qu’un préambule orageux, lourd de gloire, et de gronder le mieux possible au souvenir de l’auteur. Mais il ne faudrait pas oublier, en ce cas, de chasser la poussière de caveau et les silences de tombeau. Ils cantonneraient le souvenir de l’écrivain au prestige restrictif d’une crypte à ciel ouvert. Car Villiers n’est pas un mort à faire un beau revenant mais un fier éternel. Confirmant à certains égards l’image qui le devance, celle d’un aristocrate empesé, pré-embaumé par les attachements de sa lignée, hissé de son vivant sur des majestés de catafalques, Villiers, pour autant, n’est certes pas un grand-père à sang bleu. L’homme serait plutôt un garçonnet de mirage, comme il en vient au monde quelquefois, par exception et parfait malentendu. Enfant gâté par la naissance, Villiers aurait pu l’être sa vie durant, mais les choses ont ainsi tourné que rien ne lui a été favorable. Je pense à la tante, détentrice de la bourse et inflexible sur un projet de carrière séante à ses yeux pour son neveu, excluant celle des lettres ; aussi au père, naufrageur fantaisiste des deniers raréfiés de la famille, abonné de la banqueroute, sombré dans la démence sur ses vieux jours. Ni l’amour ni la gloire, qu’ils portaient à l’état pur, n’ont offert leurs assises au grand Villiers. Ils sont restés à son front, perchés en diadème, en couronne, ou, plus précisément, dans une orbite de cœur séparatrice des vivants. Son biographe et exégète Allan Rait, dans un livre aujourd’hui rare, « Villiers, l’exorciste du réel », en a autopsié l’interminable crève-cœur ; la combinaison très spéciale de traits convergeant pour tenir à l’ombre le prodige. Les souvenirs abondent de situations où l’inadaptation de Villiers prend une tournure d’exclusion élective, de scoumoune caractérisée ; le mot de malédiction, ici avancé, ressemblerait au débarras en un mot d’une réalité que je ne voudrais pas atténuer. Dire que les exemples ne manquent pas est un euphémisme enragé. Ainsi, il est arrivé à Villiers, avec Marie Dantine, sa compagne, et son fils Totor, d’habiter des décombres quand la famille ne pouvait plus pourvoir au loyer. L’image ne m’a pas quitté de Villiers écrivant l’« Eve future », allongé sur le ventre, avec de l’encre diluée par économie. Je pense encore, parce qu’elle est si révélatrice, à la visite que l’écrivain, accompagné de Catulle Mendès et Judith Gautier, a rendu à Richard Wagner, et notamment à l’empressement avec lequel Villiers lut sa pièce « La Révolte » au compositeur, dont la réception fut désastreuse. Je pense à l’échec de cette démarche, que l’idolâtrie dont Wagner était l’objet vouait à la caducité, à l’écoute distraite du maître de Bayreuth. Un comble que cette situation de Villiers courant après les directeurs de théâtre ou sollicitant l’audience de Wagner. Un comble récidivant, très méchamment burlesque, où les marasmes de Villiers voué à une position de subordonné, ne se comptaient plus ; c’était un système, une routine, un marteau-pilon de l’abjection auxquels les amis rares ne purent rien changer. Pourvoyeur sans rival d’une grandeur sculptée en mots, Villiers a dû susciter cette haine fuyante, sans criminel attitré, qui est la règle banale de notre époque mondialement sanibroyeuse mais qui, à cette époque, ressemblait à une exécution publique sans procès, ni juges ni témoins, un de ces assassinats collectifs pour lesquels, puisque personne ne demande justice, rien n’arrête l’égorgement où se mêle dans le hideux baquet des sacrifices, la boucherie anonyme et désinvolte des groupes, des clans et des coteries, se hâtant de faire tomber la tête, ou, lorsque cela demande encore trop de bravoure, d’empoisonner lentement, en centaines de petites prises toxiques que Villiers ne manqua pas d’avaler. 30 ou 40 ans plus tard, un certain Antonin Artaud eût parlé de « passes d’envoûtement » ou d’une partouze à gurus où se décident les emmurements vivants de tout ce qui montre race ; une haine solidaire aussi mortelle que peu coûteuse à ses dispensateurs : la haine des concurrents. Haine imparable de la fin de non-recevoir augmentée de toutes les facilités assassines de l’ostracisme. Haine qui n’a jamais à se donner la peine du « non ». La haine du dos tourné et de l’indifférence, feinte et stratégique. Autre fait sournoisement révélateur, les amis de Villiers le considéraient comme un orateur remarquable, l’écoutant pendant des heures, là où rien ne pouvait démentir le génie, là où, sorti du cachot de l’imprimé, l’homme régnait à voix haute. Cette modalité de Villiers, le pseudo climat bon enfant de cet exercice de pure dépense où Villiers, sans y penser, se donnait sans compter et s’ouvrait littéralement à grandes vannes, laisse songeur. Dans ce contexte de déni du génie littéraire de Villiers, certes reconnu, mais tard, par accès fragiles, et dans un silence capitonné de spécialistes, les prouesses de raconteur à voix haute font l’effet d’une hémorragie, d’une générosité indécente engloutie dans l’abîme des goinfres, et pour tout dire d’une charité inouïe, suprême, consommée aux tables enfumées, et dont il ne restait rien au matin, sinon la place nette des scènes de crime, une fois récurées. L’auditoire se disperse, ravi et sidéré, mais peut-être aussi et sûrement fâché d’une impression aussi forte. Villiers se réveille le lendemain avec sa serviette pleine de textes dont Mallarmé prétend qu’il ne la quittait jamais, et Mallarmé, sinon le plus aimant du moins le plus clairvoyant, voyait à raison dans ce porte-document que Villiers tenait serré contre lui l’effort radiant d’une vie. Le monument portatif.
On remarque sans peine que la critique d’aujourd’hui, le plus souvent en tout cas, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un auteur connu pour les soins maniaques réservés à ses lignes, concède la valeur d’une écriture de façon expéditive, en deux ou trois adjectifs. Le maniement des mots, les enjeux dont leurs combinaisons sont la place, sont traités comme un effort conventionnel, poussiéreux et daté, voire maniéré, qui ne mérite au mieux, et en passant, qu’une petite médaille, de celles remises aux besogneux. J’entends bien le fourre-tout parfois bien évasif suscité à l’emploi du mot « style », mais enfin, la marque sinon d’un style, du moins d’une langue ouvragée, reste la condition d’un grand texte. Villiers, lui, s’adonnait comme personne à l’exercice, corrigeant ses mots, ses phrases, ses textes, autant de fois qu’il le jugeait nécessaire. Il ne lâchait pas ses textes avant qu’ils n’aient atteint la maturation d’un dédoublement viril de sa peine, délégués au cordeau non d’une vengeance ou d’une revanche, mais d’une réhabilitation tombée avec toutes les duretés d’angle d’un verdict. Car voici un écrivain qui, à la tâche, ne démordait jamais, hanté par une mission de dépassement dans la flamboyance de ses timbres, arrachant des exploits avec des fièvres d’intensité voisine de la question de vie ou de mort. Rien, dans ce que Villiers a de plus singulier, n’est anticipable ou ne peut se contrefaire, il pousse la sonde assez loin pour ne jamais se laisser confondre. Ce n’est pas tout. Là où s’électrisent ses tournures, quand advient dans ses phrases ce mouvement de beauté monumentale, l’éclat n’est jamais isolé, seul et encadré dans le cadre d’une suée méritante. « Partout l’écriture d’un Dieu », dit Mallarmé des « Contes cruels ». Villiers, dans les lettres française, est le patron du grand style ; fils de Baudelaire et de Poe, contemporain et ami de Bloy et Huysmans, avec lesquels, je veux parler des deux derniers, ils s’appelèrent le « concile des gueux ». « Axël », pointe culminante et tardive du drame romantique, s’il faut catégoriser, passe pour le grand poème de Villiers, son chef-d’œuvre. Je lui préfère « L’Eve future » .
Au départ de ce projet, la déception amoureuse ne fait aucun doute, dont la fameuse calamité d’une rencontre arrangée avec une héritière anglaise, « noyée dans le lyrisme » dès la première rencontre. Elle ne donnera plus jamais de nouvelles à celui qui s’en était épris violemment. L’envergure du roman, initialement une nouvelle destinée aux « Contes cruels », dont le texte fut repris et peaufiné durant neuf années, ne sera jamais dite une fois pour toutes, c’est son pedigree surhumain, il faut le relire pour l’admettre. Villiers nous dépasse dans le souvenir de nos plus vives impressions. Les prestiges et les rehauts du souvenir, pourtant extrêmes, sont surclassés à la première relecture de quelques chapitres. Villiers y a mis des merveilles si indénombrables qu’elles semblent dotées d’un pouvoir de croissance et d’expansion autonome. Il s’agit là d’un livre continent, à tendance subaquatique et crépusculo-sépulcrale, d’une aube inconnue, réglée de lumière et de température sur une clarté de levant indécis ou de nuit polaire idéale pour accueillir ce chef-d’œuvre d’art où il entre autant de cinéma précurseur que de sculpture, de peinture, de photographies que de littérature. Cette collection de splendeurs compte des phénomènes que, jusqu’à Villiers, la poésie s’était contentée de comprimer et voiler en de nobles mais très volatiles poudres évocatoires. L’architecture de « L'Eve future », dont les chapitres courts frappés d’exergues de Baudelaire, Byron, Shakespeare ressemblent autant à une collection de foudre à la Des Esseintes qu’à la suite d’engrenages d’un mécanisme de haute précision, se présente comme un nouveau mythe. Le mythe d’une conjuration. Villiers y procède au démantèlement du hurlement à la lune de l’amant masculin. Les ensorcellements de la beauté féminine et les abus spontanés qu’ils suscitent, Villiers en déplace le centre. Les enchantements et ravissements torturants (car assujettis au bon vouloir de leur dépositaire féminin), rentrent, en quelque sorte, dans le giron de celui qui les éprouve et autant dire les génère. Villiers rend à l’amant noble, son alter ego lord Ewald dans « L'Eve future », ce qui lui revient, et la restitution passe par une science-fiction du mannequin-automate qui n’est pas sans rappeler un autre mythe, immémorial et fondateur : celui de Tristan et Iseut, notamment l’épisode de « la chambre aux images ». Séparé d’Iseut, Tristan en exil fait bâtir un temple où figurent des effigies de son malheur (dont le nain Froçin, le traître), et, au centre, aux côtés de sa servante Brangien, une représentation d’Iseut à qui Tristan exprime sa détresse et aussi ses reproches. Des sculpteurs et artisans sorciers aux entournures ont conçu pour lui ce double d’Yseut. J’y vois l’ancêtre de l’andréïde inventée par Villiers.
« L'Eve nouvelle », titre parfois concurrent, manque de peu ce que le titre organique « L'Eve future » parfait en étrave. Nous sommes ici propulsés dans l’immémorial matriciel et le métallique prototypique. L’oxymore d’un cuirassé subtil vient à l’esprit pour tenter de qualifier l’armature d’invincibilité conçue par Villiers au centre du cœur aimant. Cuirassé subtil également et au premier chef, l’andréïde Hadaly, la femme aux entrailles de cuivre, inaugure un joyau viscéral tel que nul Parnassien n’aurait osé la rêver. Un grand sentiment de pureté émane du titre, « L'Eve future », qui ressemble à une arche où les enjeux de la félicité s’annoncent d’entrée de jeu démesurés. Il semble que Villiers, à force de repentirs, d’aiguisage raffiné dans les finitions cruelles, ait répandu dans ce Menlo park imaginaire, –la propriété où Edison, l’inventeur, délivre d’une peine son ami et sauveur Lord Ewald en concevant pour lui l’Andréïde d’une maîtresse idéale, Hadaly, inspirée d’un original, Alicia Clary, dont il comble les lacunes–, un milieu ambiant où le récit suit son cours mais sans que le lecteur ne perçoive les sutures entre les poèmes en prose qui le fondent. Chacun de ces poèmes ou éclosion de fastes serait, comme d’une deuxième génération, émané des profondeurs du « Spleen de Paris ». Villiers ne s’est pas laissé débordé par l’ouragan de splendeurs, mis en ordre et presque en batterie dans « L'Eve future ». Le désarroi amoureux quitte ici les limites honteuses de son affaire personnelle, il devient une loi maudite que Villiers rebrousse patiemment, méthodiquement, en une gigantesque contre-offensive. Villiers cueille l’Amour au sommet du Mont qu’il bâtit de sa base à la pointe. Mais qu’est-ce que cet Amour ? La Beauté et les charmes féminins, emprisonnés dans le gel d’un pouvoir poétique quasiment poussé à l’illimité, ne sont plus en possession de donzelles de hasard. Villiers profondément, leur a sectionné les glandes à venin, l’ablation est faite, et il ne reste plus qu’une beauté inépuisablement subjuguante, puisée au creuset-sérail des mille et une nuits ouvertes à volonté par Villiers, à la force de son poème. L’écrivain n’oublie pas d’évaser son roman dans une profonde bouffée d’amour. Je pense aux entretiens de lord Ewald avec l’andréïde. Villiers trouve, dans ces dialogues de fin du monde ou de renaissance édénique, à la pâleur du banc de pierre sous les étoiles, les accents reconnaissables d’un cœur chaviré. Il y a chez Hadaly, dans l’inflexion noble de son inquiétude à n’être que fiction, dans le témoignage de sa détresse et la très préhensible crainte de périr qui l’anime, l’un de ces « épanchements du songe dans la réalité » dont parle Nerval dans « Aurélia ». Et plus encore la tessiture surréelle des rondes dans « Adrienne », du même Nerval.


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