Nicolas Rozier
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Dans le ciel, Octave Mirbeau

7/31/2021

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 Écrire un texte de toutes parts anthologique par quelque détour qu’on le prenne, Octave Mirbeau l’a fait et refait. Dans le ciel compte parmi ces textes rêvés qui détonnent dès leur mise au monde, avec ou sans le consentement populaire, pour voguer sans fin, telle des mines que nulle tempête n’a coulé. Sans fin, elles longent les côtes sauvages, et cultivent cet art propre aux grands textes secrets de se laisser apercevoir entre deux vagues. Dans le ciel aborde le seul sujet au monde : celui du peintre. Non de l’artiste, cette souche plus commune que le chiendent, plus incoercible que la malaria, non l’artiste mais le peintre, autant dire le bougre, l’homme de travers, l’épave animée, le revenant de son vivant, l’invincible fâcheux, l’abruti grognon, le paratonnerre à scoumoune, le guignon tout terrain. Le peintre est si romanesque que l’écrivain doit prendre son élan, y réfléchir à deux fois et respirer à longs traits, profondément, avant l’apnée d'en découdre avec les malheurs, les crises, les manies et le périmètre où sévit son naufrage. Pour se lancer, Mirbeau était mieux placé que quiconque. Acquéreur émérite de deux toiles de van Gogh, détecteur précurseur de son œuvre, proche du peintre par une qualité de cœur cent fois prouvée en visage, en actes et en ferveur explicite, passionné inné et brasseur expert de l’élément passionnel, Mirbeau devait écrire ce van Gogh de biais qu’est Dans le ciel . De biais, car le van Gogh de Mirbeau est composite, composé dans un élancement ; j’allais dire, dans un tempo fraternel où l’écrivain ne pressent que trop le parcours d’écueils successifs auquel se heurte une vie de créateur. Histoire de biais d’un peintre de biais car le premier tiers du roman s’attache à relater, rétrospectivement, l’enfance du narrateur-personnage, ami, témoin et initié de Lucien, le peintre, Mirbeau s’offrant ainsi l’alliage extatique, dans la catégorie reine de la poisse héroïque, d’une enfance malheureuse et du naufrage adulte du peintre. Dans le ciel épluche dans les moindres détails le milieu d’imbécillité meurtrière où croît le malheur, père des Arts tout puissant, plus précisément ici la fosse des familles, machiniques et reptiliennes, où la bêtise consacrée confine au crime institutionnel. J’ai remarqué cette évidence néanmoins incongrue qu’un très grand texte me tire un rire, plus ou moins franc, parfois mesquin et ricaneur, sourdine qui doit correspondre à l’applaudissement grandiose du lecteur. J’ai applaudi de cette manière au long des pages où le personnage-narrateur relate son enfance, exercice dans lequel Mirbeau excelle, l’enfance malheureuse coalisant toutes ses qualités de révolte, une floraison indignée s’y exhortant à l’acuité justicière et prospérant jusqu’à la luxuriance. Rencontré quand le narrateur a perdu père et mère, Lucien, lui, le van Gogh de Mirbeau, ne descend pas de parents infâmes. Lucien a certes grandi dans un milieu bourru – le père est boucher – mais le fils reste toutefois soutenu, même dans la désapprobation. Par un effet de contagion lié au fil entraînant de la lecture, l’enfance du personnage-narrateur se trouve comme partagée avec Lucien. Disons que, telles que Mirbeau les agence, les épreuves du peintre Lucien paraissent la suite organique de l’enfance martyre du narrateur. A eux deux, ils forment un destin de fer exemplaire que Mirbeau a scindé en deux personnages, un centaure de la vie impossible. De ce rapprochement établi entre une enfance malheureuse et une vie de peintre exalté, Mirbeau attise les vieilles accointances entre malheur et beauté, sourdement unis, appelés réciproques d’une même catastrophe. Intarissable à débusquer les filons les plus corsés de la bassesse, Mirbeau en a extrait des sidérations majeures et abondantes au fil du récit où les figures familiales, père, mère, sœurs, curé, amis, voisins, sont foudroyées par l’auteur en flagrant délit d’ignominie ordinaire. Mais là où le romancier insiste avec éclat – et l’on se demande comment après un tel festival d’énormités sordides - tient à cet atelier ouvert, entre le narrateur et Lucien, à leur « différence » péniblement partagée au cours de conversations surtendues et laconiques, pleines de trous. La part initiatique attendue, - Lucien est l’aîné, il montre l’exemple au narrateur plus jeune et subjugué -, vire à l’absurde bouleversant car les monologues de Lucien se réduisent à des phrases sans suite, encadrées par des interjections. Il en résulte une impression d’échauffement dans le vide, de tournis abrutissant qui redouble l’effroi du narrateur, lui-même irrésolu, assailli d’émois sans forme. Dans le ciel  se fait une spécialité de cette vrille de toupie où les deux héros tourbillonnent interloqués dans une pulsion impérieuse qui les dépasse. Mirbeau y dépeint le parangon de l’artiste sacrifié à son œuvre comme une espèce d’amateur irascible, hanté peut-être et même sûrement mais enlisé dans une impuissance burlesque. Montées en régimes, propos vindicatifs, décrets à l’emporte-pièce couronnés par une incapacité orale emprisonnent le personnage de Lucien dans les traits d’une caricature de forcené à l’ambition aussi démesurée qu’au-dessus de ses moyens. Incapable de sortir d’une trilogie de verbes : « voire, sentir, comprendre », Lucien apparaît comme le buffle de sa monomanie peinte et les contorsions de son visage au travail achèvent d’en faire une sorte d’épouvantail. L’effet comique est d’une richesse ambiguë car, si la dimension loufoque de l’artiste aux prises avec son art est une matière aussi forte en vraisemblance qu’irrésistiblement drôle, elle est en même temps très poignante et atteste du bricolage ambiant attaché à la gravité artistique. Mirbeau joue à plein de ce désordre de registres au point même d’oublier, délibérément, que van Gogh était le contraire d’un impotent verbal ou d’un artiste au projet évasif. Comme si Mirbeau, pour les besoins de sa démonstration, avait dû artificiellement couper Lucien des talents d’écriture et de lecture de van Gogh pour se concentrer sur la charge de désespoir, la part d’animalité traquée de cet homme, ou mettre l’accent sur la part sauvage, inarticulable, inintelligible en mots, de son œuvre peinte. Une des inventions fortes du roman réside dans la « retraite » du peintre, que Lucien nomme « son pic ». Mirbeau forge ici un lieu-dit, un trou perdu, dans la campagne, non plus même accablé d’atavisme, mais quasiment gelé dans l’abrutissement et l’évacuation. La masure perchée à l’écart du village à moitié mort, forme une image saisissante de lieu isolé, de repli implacable, dans lequel Lucien, fatalement, s’enfonce dans une solitude aggravée, étendue, une solitude où « l’aboi d’un chien invisible » paraît au peintre isolé « le cri même de la terre ». Dans l’évocation de ce pic découpé sur le ciel, Mirbeau atteint peut-être l’affinité la plus prégnante avec van Gogh, dans un abouchement brûlant avec les éléments toujours menacé d’un chute définitive dans le dérisoire et le vain. Mirbeau rend compte au mieux de cette infime ligne de crête entre l’absolu et son contraire par la suggestion de ces périodes sans nouvelles de Lucien. Que fabrique-t-il à longueur d’heures ? Il peint laisse à entendre Mirbeau, mais la question sombre suffit à elle seule, l’ennuagement inquiet qui opacifie tout en haussant en prestige la silhouette de Lucien aux prises avec son désir visionnaire comble à sa manière les blancs d’une parole décousue. Les seuls contrepoints de cet écrasement en figurent les emblèmes, qu’il s’agisse du chien invisible ou de l’araignée de chevet, selon un emploi du bestiaire cher à Mirbeau. L’intrusion animale, touche secrète de l’écrivain, fréquente dans son œuvre, inscrit profondément son empreinte affective. L’araignée, le chien invisible et Lucien dessinent une trinité du gouffre. Plus de chevalets, de couleurs et de pinceaux. Le matériel et l’ambiance de travail ont disparu dans un paysage d’ermite où la complexité des nuages en transit engloutit les détails. Autour de ce pic dépouillé, Mirbeau parvient à donner de Lucien l’image d’un peintre qui en serait venu, vraiment, aux mains. L’image exsangue du peintre qui peindrait de jour et de nuit à bras-le-corps, sans outils médiateurs. D’ailleurs, et même si Mirbeau donne à voir des tableaux où le lecteur reconnait les nuits étoilées, les semeurs, les cyprès et les portraits de van Gogh, c’est à peine si, par l’intermédiaire du narrateur, Mirbeau rendait hommage aux tableaux. L’étranglement du trop grand semble le sujet majeur, ou, pour rester sur le plan pictural, le tableau infaisable et la beauté inaccessible et tyrannique qui lui correspond. Mirbeau s’approche également de van Gogh, avec Lucien, en modelant ce corps décharné et osseux, qui serait à lui-même, mieux que son tableau vivant, la preuve ambulante d’un tableau jamais fait, mais qui luirait à la pointe vitreuse des yeux de son peintre. Ainsi Mirbeau charge-t-il Lucien au fil des pages, d’un magnétisme de la dépense où se construit en creux, à même la carcasse du personnage, le profil d’œuvre refusée à ses mains et ses efforts. Lucien ne se déplace ni ne voyage, il va et vient comme un revenant fait les cent pas. Il disparaît pour de longs face-à-face consumants, fixé à son récif céleste. Nous assistons aux modifications troublantes de sa compagnie par le prisme du narrateur, et Lucien devient bientôt de ceux que l’on frôle à regret, que l’on n’approche pas sans frisson et dont l’apparition finit par devenir aussi redoutable qu’un spectre. Et cela sans autre injection fantastique qu’une volonté à l’ouvrage, se cravachant sans pitié. Dans la soupente où Mirbeau enferme Lucien à la fin du récit, nous quittons la fin du XIXème siècle pour une officine moderne décrochée de l’époque. Le catalogue sommaire des artistes que Mirbeau estime, de Monet à Pissarro, la grammaire de formes, les styles et manières que l’auteur évoque par l’entremise de Lucien, au fil du récit et de l’évolution du peintre, ont ici disparu pour laisser place à une avancée en solitaire grondant derrière une porte close, dans un réduit lugubre. Mirbeau suggère un Lucien irréversiblement basculé dans une modernité dont peut-être il touche la pierre angulaire. La porte s’ouvrira. Les lecteurs du roman liront par eux-mêmes comment Lucien finit le travail.
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