Nicolas Rozier
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Egon Schiele

4/20/2021

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 Egon Schiele, mondialement salué en dépit et à cause de la nudité crue de ses dessins, de l’érotisme osseux qui en émane, semble un artiste de ralliement, toutes générations et toutes écoles confondues. Deux films lui ont été consacrés. Schiele fait l’unanimité, marqué de l’estampille fourre-tout habituelle : peintre maudit.
Pour l’adolescent de province que j’étais à la fin des années 80, le peintre autrichien n’existait pas, ne figurant dans aucune des anthologies auxquelles j’avais eu accès jusqu’alors. Puis, j’ai fini par voir, mais ce ne fut qu’une demi-alerte, l’une de ces cartes postales ou affiches de cette fameuse femme en vert « La femme de l’artiste » ou « Femme assise » utilisée pour les expositions internationales de l’Autrichien. Mais il m’a fallu ce livre de la collection « Les Classiques de l’Art » chez Flammarion, pour entrer dans l’œuvre. Cette édition de Gianfranco Malafarina avait le charme des ouvrages conçus pour les amateurs, voire les adolescents, tout en proposant un appareil d’approche très fouillé. Modeste par le nombre de planches, elle assurait un ancrage, un impact des images que je n’ai jamais retrouvé dans les colossales éditions postérieures. Tous les grands filons du peintre, emporté à 28 ans par la grippe espagnole, y étaient représentés. En une centaine de pages, vous étiez renseigné sur sa manière.
 Schiele laisse le souvenir d’une aube perpétuelle. Le début du XXème, où déborde encore peut-être cette lumière fin de siècle, celle du XIXème, ombre de bleu et de mauve, un ciel encavé. Les couleurs de Schiele, celles d’une ecchymose à l’aquarelle où les bleus violâtres concurrencent les vermillons, vitraillent les contours de rêverie sévère empruntés au jugendstil de Klimt. Schiele ne se contente pas d’être un talentueux suiveur de Klimt, il regarde dans une direction jusqu’alors inaperçue et y déploie son art. C’est un saut de côté, un véritable court-circuit visionnaire, opiacé et méthodique, dont les jungles géométriques de l’Art Nouveau renforcent encore l’étrangeté. Si l’on conçoit aisément l’attrait public suscité par cette influence décorative dans les œuvres précoces de Schiele, et de façon plus entêtante dans ses paysages ornementaux jusqu’à l’abstrait, je ne m’explique pas cet engouement international pour une œuvre à mes yeux sauve de toute portée consensuelle. La classification d’expressionnisme pour ranger cette œuvre quelque part, fonctionne aussi mal que les autres. On a usé ce label. L’étiquette galvaudée semble encore fonctionner pour qualifier le cinéma du même nom, plus difficilement les œuvres peintes. Cette réduction de l’œuvre à je ne sais quel album d’excitations, fussent-elles de grand style, m’a toujours paru répondre très mal à la singularité en jeu. D’autre part, que Schiele ait peint des nus, des natures mortes et des paysages, n’y change rien. La part offensive, autant que les critères sourds et distinctifs de l’œuvre résistent à la mise en commun, et plus les files de visiteurs s’allongent dans les Musées, à l’âge de la culture au kilotonne, plus cette singularité se rétracte, j’allais dire se refuse.
Les premiers effets sur moi de cette ruée visuelle, tenaient certes au maniérisme de Schiele, à cette électricité du trait, à une concomitance entre le trait acéré et les saillies osseuses des sujets, mais le mystère impressionnant venait surtout de l’ambiance de drame futuriste inscrit dans les visages et les postures. J’étais incapable de situer cette œuvre à la suite d’une œuvre similaire ou qui l’aurait annoncée. Elle s’imposait et s’impose toujours comme unique, car violemment étrangère. Le dessin de Schiele, fondé sur ce trait sans reprise qui le caractérise et suffirait à l’admirer sans réserve, donne à ses figures un aplomb d’êtres inédits, une nouvelle espèce qui n’existerait que dans ces dessins. Le peuple cousin d’une autre planète, aux raideurs insaisissables, comme électrocuté de l’intérieur. Les yeux à tendance plus fixe qu’hallucinée s’accordent aux postures souvent peu naturalistes. Entre la momie aztèque recroquevillée, le polytraumatisé d’un accident ou les poses spectaculaires et « désagréables », dirait Jünger, des gisants acrobatiques des champs de bataille, suspendus les membres en désordre, les suggestions en puissance sont nombreuses. Pour autant, chez l’Autrichien, le geste cassant des membres ne tire pas du côté du pantin désarticulé ou du mannequin. Les silhouettes paraissent davantage des hiéroglyphes où l’homme, du moins l’espèce humanoïde inventée par Schiele, se cherche un aplomb. Les lignes de Schiele corsètent les corps où l’habit textile est d’une espèce de plomb ou d’un autre métal. Ce sont, à chaque fois, dessin ou peinture, des prototypes galvanisés, pris dans une transparence crue, un éclat livide. La fermeté du tracé initie un geste dessiné proche d’une forme d’ingénierie, un raffinement inventif, un brisé de ligne dont l’appui et la précision semblent d’un laser. D’ailleurs, le père de Schiele le destinait à une carrière d’ingénieur ferroviaire et le jeune Schiele se plaisait à dessiner des trains, des rails et des plans de gare entiers. Une finition de machine joue pour beaucoup dans le trouble suscité par ces œuvres. L’aberration d’un geste épuré du tremblement humain. Car si les traits de Schiele ont un cassant certain, ils ne tremblent pas. Or cette netteté presque machinique présente des êtres dans l’état sculptural de drames. Une énergie dramatique fourmille dans un remplissage, un coloriage mâchuré des corps nus, une espèce de modelage lacérant dont Schiele avait fait l’une de ses marques graphiques d’élection. Les personnages sont ainsi marbrés, remplis d’une informe stupeur qui les zèbre de bas en haut, c’est là toute leur histoire. Pas vraiment des histoires sous-jacentes, plutôt des états-limites, des crises si l’on tente de qualifier leurs espèces d’apparitions alarmées de l’intérieur. Schiele ne s’en livre pas moins au pathétique, aux contorsions emphatiques et souffrantes des corps mais, le plus souvent, il excède le bréviaire psychologique des états d’âme illustrés. Il touche à un point d’extase où le supplice est une joie. Le supplice, c’est beaucoup dire. Disons le terrain des mutilations subtiles où crayons et couleurs aiment à s’ébattre. Sur le papier ou la toile, il n’y a plus personne quand bien même les modèles sont nommés. Seuls demeurent ces organismes, ces tentatives d’anatomies, personnages de peinture dévoués au crayon, à la craie et à l’aquarelle. Pense-t-on vraiment aux « sujets » représentés lorsqu’on admire les dessins de Schiele ? Jamais le dessin n’est tant au-devant de ce qu’il représente que chez Schiele. Ses modèles : son épouse ou d’autres femmes, y compris les enfants et les jeunes filles à scandale, sont les aides de Schiele. Que ces dessins révèlent tel ou tel aspect de la personnalité de ses modèles ou mettent en évidence quelque pseudo vérité éternelle sur la condition humaine, Schiele pouvait lui-même y penser, distraitement, ses dessins ne l’interdisent pas. Toutefois, leur efficacité dans le monde, le tir singulier dont ils nous embrochent vient avant tout du pouvoir de l’artiste à créer toutes sortes de floraisons et de tumescences où l’œil s’attarde et dont il se repaît. Que regarde-t-on aux dessins de Schiele ? Tout, justement, sauf l’enfermement du sujet dans une identité représentée. Les paupières lourdes, le bistre auréolant les yeux souvent révulsés, hantés par le plaisir, le désir ou d’autres états plus moribonds. Nous longeons des jambes à grosses têtes de fémur, des bassins véhéments, le fripé diaphane de l’entrecuisse, ses boursouflures tuméfiées, crépusculaires, d’ailleurs de la même teinte que les superbes paysages d’automne aux horizons d’arbres et de baraques imbriqués comme des pièces de mosaïques. Nous cherchons à retrouver, d’un dessin à l’autre, ces marbrures mortelles, cette parure tachetée de mort carnavalesque, ces visages maculés, pris dans une sorte de stupeur taxidermique, cette arlequinade de l’ecchymose dont Schiele invente les effets de surexposition, (les peintures sont plus lourdes, cependant Schiele parvient à y transposer en pleine pâte ce modelé à stries transparentes obtenues à l’aquarelle). Qu’il l’ait voulu ou non, l’artiste unit cette atmosphère lourde, cette latence de bubon aux anatomies élancées d’un nouveau type humain, en instance de métamorphose ou de décollage.
Je n’ai jamais pu me départir de cette impression forte et répétée d’anticipation anatomique et érotique au spectacle des nus de Schiele. Un élancement humain, un état de fusée, en instance d’allumage, se confond ici aux fards enragés, rouges et bleus, de la seule débauche graphique. Quant à la part auto-érotique du peintre, elle révèle un personnage à crâne hypertrophié et au corps malingre qui hante l’œuvre dessinée, la figure ébouriffée et les cheveux en pétard comme un éclatement de la tête. C’est le leitmotiv d’un soleil noir portatif au crâne, le diadème du poète lubrique. Le désir de Schiele ne regarde personne. Seules comptent les forces données. Or les autoportraits masturbateurs à peau marbrée de Schiele, outrés de rehauts blancs à la gouache, les nus féminins outranciers, donnent surtout un coup de bélier dans l’histoire du dessin. Étrangement, j’y vois, superposés, les dessins, le peintre, avec l’impression armée, dans ce modelé veineux, d’un équipage de char à la pause, dans les fourrés, plus encore d’un pilote de vaisseau. Toujours cette tension de surgissement, presque phosphorique en raison des silhouettes brutalement découpées sur le blanc du papier, d’un homme du futur, à l’anatomie modifiée : osseux, veineux, l’œil révulsé et porteur de ce cimier-crinière à la Schiele. Humanité en proie à une espèce de combat lascif et aux perclusions de cet état. Une civilisation de suppliciés en convalescence : ils grimacent encore mais ils ont déjà leurs rites, leurs postures et surtout cette anatomie-étendard.


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