Nicolas Rozier
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Anaconda - Contes de la folie, de l’amour et de la mort,  Horacio Quiroga

6/24/2024

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Dans « Anaconda », des serpents font alliance contre les hommes. Je pouvais craindre une pente édifiante dans la veine d’Animal farm. Or, mieux qu’une fable animalière, Quiroga invente une véritable histoire à serpents. Par l’effet d’un élan sincère, d’un intérêt marqué pour ces reptiles, l’écrivain trouve une prise inattendue. Quiroga pousse le conte dans les retranchements de son merveilleux traditionnel parce qu’il avance en possédé tropical. L’étrangeté de son sentiment à l’égard des serpents parcourt le conte et toute son œuvre. Crainte et fascination vibrent dans la juste distance avec les serpents, comme si au plus près de la pupille ronde ou verticale, Quiroga préservait à même les modulations de son récit le respect tendu inspiré par ces bêtes venimeuses. L’intrusion d’un serpent dans une fiction, tel un piège vivant, en embuscade ou en mouvement, introduit toujours, après un réflexe panique, un arrière-plan d’aventure. Mais Quiroga va plus loin. En homme impressionné, il s’attache aux attributs des ophidiens et à leur portée d’emblèmes de la vie sauvage. Il y a le venin, et ses deux sous-classes bien connues, la neurotoxique et l’hémotoxique, déclinées en cocktails variables et diverses virulences selon les espèces ; et aussi leurs écailles, dont les motifs, quand le serpent en possède, ont les atours de très fins ornements. Confusément, on pense tapisserie, art rupestre, décoration précolombienne, peinture de guerre. Dans « Anaconda », ces travellings sur les motifs en chevrons et triangles, révèle l’imaginaire de l’auteur, si ce n’est la trame de sa poétique. Une sensualité au danger cerne les péripéties. Les venins, en leur chimie respective, stockés qu’ils sont dans les glandes, prennent sourdement le rôle des parfums et liqueurs dans un récit symboliste. Les serpents ondoient sous les feuilles mortes ainsi que des fioles courbes et vivantes. Dans « Anaconda », l’humanisation des serpents ne gomme pas leur superbe ; Quiroga place au centre de son intrigue leur sens de l’assaut et du camouflage. A l’image des serpents, l’histoire explore les dessous de la forêt et se délecte à y rôder. Les héros-serpents sont les émissaires de l’expérience tropicale. Celle de l’exilé Quiroga frappé par une effarante série de deuils. Orphelin de père, mort d’un coup de fusil sans que l’enfant n’ait jamais su s’il s’agissait d’un suicide ou d’un accident, Quiroga perdra également son beau-père, suicidé à l’arme à feu. D’un tir accidentel, l’écrivain tuera lui-même un ami, avant de perdre son épouse, suicidée au cyanure, et de mettre lui-même fin à ses jours par le même procédé quand il apprendra son cancer. Le palmarès funèbre distingue Quiroga comme l’un de ces précurseurs du néant, archis hantés, prêts pour l’au-delà et happés par lui comme l’attestent les photos de l’écrivain que chacun trouvera sur Internet. Aux yeux transparents de l’auteur reflue le choc d’un homme tué et retué de son vivant. Le destin terrible aurait pu murer l’homme et en finir avec son feu créateur. Mais un ami écrivain, Lugones, entraîne Quiroga à Misiones, au cœur de la forêt tropicale. Débute alors une immersion dans la forêt. L’homme foudroyé s’y gavera de hantises et de raffinements morbides.
Au début des Contes d’amour, de folie et de mort, j’ai retrouvé le serpent, en l’espèce de la yararacusu, cousine du « fer de lance » qui est le danger des broussailles. Dans « A la dérive », un travailleur de la forêt se fait mordre sur les rives d’un affluent reculé. L’instant de la morsure se dissocie à peine des piaillements et bruissements incessants de la jungle. L’autochtone, robuste et rustique, observe lui-même les méfaits du venin dans une froide escalade. En quelques lignes, le lecteur est renseigné sur les agréments de la morsure par une vipère latino. Quiroga, par ce récit bref de la morsure suivi du compte-à-rebours des soins urgents, condense une tournée de la forêt et du fleuve. Le venin, obscurément, prend le rôle d’un opium terminal. La crainte du lecteur pour le blessé se transforme en intimité planeuse, par-delà les phases cruelles de l’envenimation.
Dans l’œuvre de Quiroga, le serpent est le danger immédiat, en première ligne, complété, dans une circonférence seconde, par le jaguar.
L’animal est partout, sans être exclusif. Dans la distribution de ses personnages, Quiroga trouve un point d’équilibre entre animaux et humains. La dureté de la forêt annule la ligne de partage, souvent à la défaveur de l’homme que le milieu tropical engloutit à la première négligence. Dans « Les barbelés », un alezan et son compagnon de clôture, un vieux cheval, trouvent une voie dérobée dans l’enclos cerné d’arbres. Ils s’échappent à leur guise. S’ensuit une rencontre avec des vaches, derrière un enclos de réputation imprenable. La légende rôde, du taureau Barigüí, capable d’enfoncer les barbelés. L’intrigue m’importa moins, dans ce conte, que les forêts claires où les deux compagnons trottent à l’aventure. On croirait des couloirs d’herbes hautes plus que des rangées d’arbres. Le crin, la crinière et les végétaux ondoient à l’unisson, dans ce conte. La parenthèse enchantée, pour les chevaux, offre une vraie plongée dans le vert, sans qu’il s’agisse du fleuve ou de la jungle. Quiroga nous entraîne dans un morceau d’arrière-pays, complétant la collection de tableaux du recueil. Entre la ville abstraite et lointaine, les hameaux perdus, le fleuve et la jungle, il y a ces pâtures cernées de lisières. Les chevaux sont nos guides dans ces parages hors du temps. Quiroga aime ses héros fugueurs. Il les aime d’une tendresse virile, inimitable. Cela se sent à la légèreté des cavalcades, à la manière dont les crinières jouent dans la brise. Nous sommes dans la coulisse du monde. Je repense aussi à « Yaguaï », le fox-terrier du conte éponyme, l’héroïque chasseur de rats. Je ne savais plus où se trouvait, dans Mort à crédit, le petit chien fabuleux évoqué par Céline. En fait, il apparaît au début du roman, quand, remis par le narrateur à une famille de confiance, le chien de la rue se jette par la fenêtre par crainte inguérissable de l’homme. Yaguaï, vaillant sous « le vent de feu » des quatre mois de sécheresse à Misiones, me semble son frère. Les ressorts ont beau être connus, de l’évocation émouvante des bêtes partageant les joies et les malheurs de l’homme. Il n’empêche, à chaque fois, je tombe dedans volontiers. Je reçois profondément les efforts de Quiroga pour restituer la grâce des relations entre les animaux et ceux qui les aiment. L’hommage au petit chien blanc Yaguaï, en est un aussi aux péons qui l’ont vu vivre de près. Quiroga se garde bien de fléchir à l’endroit du sentiment. Tristesse et affection s’y déclinent en pudeur majestueuse.
Les contes de Quiroga l’apparenteraient à Villiers et Maupassant. J’admets une ressemblance avec le premier pour l’expression ciselée qui parcourt les récits, quoique le souffle semble raccourci par la chaleur ambiante de Misiones. Toutefois, l’expression très directe de Quiroga ne tourne jamais à la sécheresse. Le double critère de la précision et de l’énergie œuvre au calibrage de ses contes emprunts d’un luxe discret. Un raffinement discipliné décide des scintillements ponctuels dont Quiroga relève ses lignes. Le réglage de la voix narratrice est lui-même d’une rigueur remarquable. Les situations les plus extrêmes sont relatées avec des lenteurs de convalescent soupesant chaque mot et une sobriété d’explorateur dictant ses mémoires. Quiroga avance à son rythme de phrases courtes et comprimées, trouvant dans ce format l’exactitude aristocratique qui le distingue. Les rapprochements possibles avec Villiers sont multiples. Ainsi, « Une saison d’amour », conte d’une idylle fiévreuse, ou encore « L’oreiller de plumes », conte d’horreur gothique, rappellent l’ambiance funèbre de « Véra », sinon que la note surnaturelle et macabre, dominante chez Villiers, vient d’une fatalité tropicale chez l’Uruguayen, d’une malédiction poisseuse. Le lieu d’influence des contes, c’est-à-dire la forêt de Misiones trouée de villages torrides, précipite les drames dans un enfer lascif, presque normalisé. L’Amazonie de Quiroga n’interdit pas tout à fait le gothique à l’européenne, mais la fournaise à dards et à crocs y double l’imminence des spectres. Le milieu implique un vertige tropical, le syndrome « Cœur des ténèbres ». La lecture de Quiroga laisse une impression de songe transcrit où le grain émotionnel du propos s’efface devant les reliefs de l’aventure, aventures monolithiques dédiées à tel fragment de la forêt tropical et dont le recueil fait l’album. A l’enchaînement des phrases, la tension sous-jacente rend l’intrigue, plus que tendue, révulsive. Chaque moment de la narration semble maintenu sous pression, dans une progression aux abois. La jungle et ses pièges débordent sur les carrés défrichés, à l’endroit des villages. « Cour de terre » et « murets de briques » suffisent à situer le cadre de « La poule égorgée », le conte liminaire du recueil. Par son titre et la terre pauvre de son cadre, le récit gronde d’une horreur à venir, plus proche, cette fois, de Maupassant et d’un contexte paysan et pauvre, où l’horreur a la banalité d’un quotidien d’abattoir.
L’ensemble du recueil évoque une série complète de tableaux inspirés de la jungle. Une sélection de fait-divers extrêmes ou de désastres intimes où Quiroga met le luxe des saveurs amères. Un plan se dessine, de la vie humaine en lisière de forêt, et de son bestiaire. Les quinze contes, en évoquant les chapitres d’un roman et mieux encore d’un film, déroutent par leur modernité. En chaque titre, une même fermeté de slogan et de coupe élégante. Lisant un premier conte sans rien savoir sur Quiroga, je m’étais réjouis de découvrir un contemporain d’importance. Les contes forestiers de Quiroga ont la fraîcheur de textes écrits la veille.
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