Nicolas Rozier
  • Accueil
  • À PROPOS
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Météores
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales

José Luis Zumeta

5/15/2022

0 Commentaires

 
Photo
Le pays basque, en Espagne, mêle les contreforts bourrus de l’Ardenne et les rivages d’une mer appelée cantabrique. Les Pyrénées finissantes y déclinent les pentes d’une Suisse nuageuse où stagnent des nuages bistrés par une invisible industrie. Jurassique, ardennais, le pays basque partage l’humidité régnante des vieux Finistères. Le secret d’Euskadi, le pays désigné par sa langue, reste muré au contact des Basques, plutôt amènes mais toujours à voix basse, à fleur d’une amabilité dispensée à vue, au dernier moment, lorsque vraiment, à un souffle du passant, les regards se croisent. Les discrétions d’un monde jalousement gardé ordonnent aux visages une origine exclusive, ni atlante, ni européenne, et d’une hispanité hasardeuse. Au détour de quelques lacets et virages en épingle, je fus confirmé dans l’impression d’un pays sans latitude stable, à forte tendance coupée du reste du monde. Perchée entre deux cols, encastrée dans les plis forts d’un maquis montagnard, une cité ouvrière, colonie de fantômes à l’air libre, ville minière reconvertie en station de ski, affichait les atours d’une zone commerciale cernée de chalets disparates, somnolents et torpides. Je ne pus réprimer l’image des habitants réunis, le soir venu, pour quelque messe locale d’obédience incertaine. Avec leurs anoraks déteints, ils me firent penser à des Boliviens sans bonnets, ou à un comptoir d’apatrides sédentarisés. En dépit de l’animation, sur le parking du supermarché, j’eus l’impression que notre départ abrégerait la mascarade civilisée et son ballet salarial, chacun retournant à l’exercice inconditionnel de sa liberté. De là, peut-être, ce désordre mal situable à l’arrière-plan des rayons, l’esprit de décor et de figuration générale qui nous entourèrent lors de nos courses brèves et décousues. Nous étions au pays basque pour l’exotisme synonyme de toute incursion dans le Sud, à l’affût des parfums et couleurs, mais la carte postale, en de multiples facettes, se compliqua de charges étranges et d'une richesse insaisissable. Visions en tête desquelles caracolaient les paysages vus par la fenêtre, en voiture, plantés d’un bétail fréquent, épanoui et multipliant les visions d’alpages surplombant la mer. San Sebastian et Bilbao furent visitées coup sur coup. San Sebastian à deux reprises car nous étions proches de la ville et de sa plage fameuse, la « Concha », hanse majestueuse qu’une lumière boudeuse nimbait d’un éclat sobre. Quand le soleil manque, en de pareils lieux, l’eau de mer, les phosphènes de beau temps suspendus dans l’air et la manière dont les façades se hèlent, pourvoient à la clarté de l’air pur.
Nous souhaitions aussi, à l’occasion du séjour, voir sur pièces des peintures et dessins de l’artiste basque Bonifacio. Ce géant, me disais-je, devait être partout, d’une manière ou d’une autre. Noms de rues, frontons d’écoles, banderoles et festivités à son nom ne manqueraient pas de scander la fierté locale, et notre parcours muséal, qui devait nous mener du Guggenheim de Bilbao et son Musée des Beaux-arts, au Musée San Telmo de Donostia, promettait un festival, un plébiscite pour ce champion impensable du trait et de la couleur. Force fut de constater que de Bilbao à San Sebastian, tous musées confondus, des plus grandes galeries aux cabinets d’arts graphiques les plus ombrageux, pas une œuvre, pas une seule pépite du grand Bonifacio ne glorifiait les murs. Mieux : pas un catalogue, pas une mention de son nom, même en annexe des barbons à l’honneur. Nous n’aurions pas vu moins de Bonifacio si nous nous étions trompés de continent. Je sais qu’au Musée de l’art abstrait, à Cuenca, en Castille, au Far West espagnol, Bonifacio doit être présent par au moins un dessin, ne serait-ce qu’une peinture car le peintre chemina quelques années avec les artistes de la ville, réunis sous le nom d’école de Cuenca, du moins ma sidération se réfugie-t-elle dans cette hypothèse. Et si le Musée à Cuenca lui-même se défaussait, je sais qu’il y aurait les vitraux de la cathédrale, à moins que les mêmes complotistes n’aient démonté les carreaux ! Mais chez lui, dans sa ville de naissance, là où Bonifacio revint finir sa vie et peindre des beautés sans rivales, le silence et le désert passent l’entendement. Même la consternation, grande habituée de l’outrage, ne sut comment s’étrangler à mesure que l’absence du peintre se confirmait d’une adresse à une autre.
L’honneur fut néanmoins sauvé, in extremis, non en dur par une œuvre originale, mais par le libraire du Musée San Telmo. Nous connaissions les grandes librairies, au rez-de-chaussée des Musées, en France, non les librairies de Musée à la mode basque. À la sortie ou presque, nous revînmes sur nos pas, cherchant les livres et les rayonnages. Piétinant le nez en l’air, nous remarquâmes autour de nous, dans un bref vestibule, de surcroît en angle, quelques éléments de bibliothèque en hauteur ainsi que quelques vitrines, d’évidence réservées à l’usage du personnel et dédiées aux archives locales. Enfoui dans un coin, s’affairant à classer ou fouiller, un préposé nous tournait le dos. D., dont le sourire, où qu’il passe déverrouille les cœurs et les anime, eut à peine à s’approcher qu’un homme charmant lui fit face. Avait-il 75 ans ou plus ? Il sortait d’un grimoire ou d’une île déserte, avec écrite sur son beau visage l’Histoire de l’Espagne, sa fierté et sa tendresse sanglante. En quelques regards autant qu’en quelques mots d’espagnol que D. est la seule à parler, l’œil noir et brillant de ce petit homme sec avait compris. Le nom de Bonifacio, que jamais l’on ne prononce devant lui, a dû faire l’effet en lui, d’un retour en arrière ou d’un malentendu. Il me semble, le temps d’un court vacillement, qu’il renonça à manifester la hauteur de sa désolation à l’égard du silence réservé en son pays de naissance à Bonifacio. Puisque nous étions là, et qu’il s’excusait de ne rien pouvoir nous offrir d’œuvre originale ou même reproduite de l’artiste, l’homme évoqua un peintre connu, du moins plus admis, à l’échelle populaire des Basques, à savoir Zumeta. Le peintre, certes, lorsque je le vis en photo, porte le béret et brandit plus explicitement l’identité basque que ne le fit Bonifacio. Notre libraire se démena ainsi à nous trouver un, puis deux catalogues d’exposition, dont l’une que lui avait donc consacrée le Musée San Telmo, Musée de la culture basque, dont nous finissions la visite. L’absence du moindre Bonifacio au Musée de la culture basque, exposé ou en réserve, me fit l’impression d’un Prado où Velázquez et Picasso eussent été inconnus au bataillon.
Ce bibliothécaire que j’imaginais dormir sur la place, gagner son alcôve par une porte dérobée à l’extinction des feux, personnage à la fois sec, élégant et hirsute, donnant l’air à chaque instant de descendre d’une litière encastrée dans les livres, manifestait à regards vifs l’arrière-plan d’un goût pour l’art entièrement résorbé dans ses prunelles. Elles dardèrent amicalement, puis l’homme, après nous avoir fait signe de l’attendre, s’écarta pour fouiller dans les étagères. Singulier spectacle que cette réserve à ciel ouvert coïncidant avec la sortie du Musée. Visiblement, l’homme gagnait habilement sa tranquillité à se laisser confondre avec un visiteur, et notre échange avec lui fut sans doute celui de la semaine ou du mois pour cet hiberné de l’encaustique. Il se démena pour nous et bientôt nous tendit deux catalogues. Il fallut décoller les pages de ces exemplaires encore récents et déjà défraîchis. L’homme était sûr que cette œuvre nous plairait et il avait raison.
Zumeta annonçait un deuxième continent de peinture au pays basque, selon mes prédilections, qui plus est en relation d’affinité picturale avec Bonifacio. Dépourvu que je suis d’informations spécifiques, j’ignore si les deux hommes se sont connus et, le cas échéant, fréquentés ou appréciés. Je sais en revanche que certaines zones fantasmatiques de la peinture leur sont communes.
Zumeta, par son nom, sonne mexicain et familier. J’imagine fort bien le peintre d’à-côté qu’il a dû être, comme pourrait l’attester, par exemple, ce projet d’exposition dans les halles du Mercado San Martín , au milieu des bouchers et des fleuristes. Mais avant tout, la peinture de Zumeta, au premier regard, révèle une frange esthétique caractéristique et fulminante. Celle d’une peinture outsider, pleine de désir impatient, aux antipodes des œuvres internationales telles que nous en vîmes à Bilbao,– ce sont les mêmes partout, elles sont exsangues et je crois que le vœu pervers des tenanciers, conservateurs, états, mécènes, historiens de l’art, critiques et reproducteurs du même à grande échelle, entretiennent et partagent l’ambition d’un sacre de ces œuvres à l’ennui, et à l’envoûtement correspondant des masses circulant dans les hautes salles faites, donc, pour impressionner au tonnage blafard –. Zumeta, lui, taille son œuvre dans un massif reconnaissable au premier coup d’œil. Ses tableaux gardent l’éclaboussure d’une émeute propre au désir de peindre. Il y va d’un saut à la rétine ou non, les tableaux dégorgent, ils suppurent, et tant mieux si leur efficacité passe aussi, parfois, par quelque bavure ; elle signe leur énergie. Il y entre toujours, de façon plus invétérée que loyale, des motifs lancinants dont les effets de reprises, masses géométriques et silhouettes, structurent vigoureusement les compositions. C’est la raison pour laquelle un commentateur de l’œuvre de Zumeta parle de l’influence de Paul Klee. Un poignet d’enfant, chez Zumeta, ne cesse d’inviter les maisons de conte et les ailes décoratives de papillon avec ou sans corps. La maille décorative des motifs, défalquée de ses supports, lévite comme autant de trames (ronds, griffes, points, tirets, treilles), télescopables à volonté avec les pièces de puzzle emboîtées, à la Matisse, en fragments d’intérieur ou d’extérieur, à perspectives redressées ou écrasées. Zumeta joue à merveille de cette atmosphère de bord à bord virulent où s’attisent les contrastes. Pris séparément, les éléments des patchworks, losanges des arlequinades du peintre, sont abrupts, naïfs à la Paul Klee, mais leur agencement, leurs imbrications, eux, sont d’un raffinement de grand compositeur. La vue d’ensemble sur les paysages de peinture (plus que de villes ou de nature morte, ce sont des plaques de couleurs au pinceau étalées/brossées à la gloire des formes et de la couleur), déclenche une énergie visuelle de peinture rêvée ; de plans de peinture, de promesses que la peinture en acte s’adresse à elle-même. Des indications fermes en direction d’une peinture de rêve. Zumeta travaille son écriture dans le sens d’un rapport limite à la figure. Le tableau naît d’une tension entre la forme identifiable, représentée, et les traits, griffures ou flaques vivaces de couleurs. Silhouettes, têtes et membres, bâtiments et éléments végétaux structurent les compositions, mais tenus à un point vibrant de schématisme. Ainsi Zumeta cabre-t-il souvent des fraîcheurs à la Basquiat, mais un Basquiat élémentaire qui l’abouche souvent, au risque parfois d’un dessin pesant, aux lignes épaisses de Karel Appel. Le dessinateur se résout souvent à heurter entre elles les couleurs. Coloriste, Zumeta trouve des accords subtils qui supplantent le dessin. Ce maniement de la couleur peut apparaître comme une spécialité d’Espagne ; une relation jamais calmée à la couleur, l’Espagne s’apparentant à une ligne de front pour les peintres, le bord du précipice africain, telle que Miquel Barcelo en lèvera l’hymne de terre cuite, dans ses carnets à demi dévorés par les termites dogons. Zumeta, comme Bonifacio, excelle dans cet art du vitrail comme déporté au papier. Le blanc du papier, par en-dessous, y prend une blancheur de phosphore, de même que les couleurs y atteignent un pic de luminosité fascinant. Zumeta, dans ses peintures sur papier, développe un art remarquable de la découpe à pans colorés. Peu de reprises, un effet de pari remporté dans l’agencement des parties, et une réjouissance à chaque fois reconduite de l’inattendu, si beau que l’on cherche, tournant autour, comment le regarder en face.
0 Commentaires

    Catégories

    Tous
    1981
    5e Symphonie
    Adrian Lyne
    Albert Londres
    Alberto Giacometti
    Alquin
    Auerbach
    Baselitz
    Beckmann
    Berni Wrightson
    Bloy
    Brisseau
    Buzzcocks
    Canet-Plage
    Carlos Onetti
    Céline
    Dans Le Ciel
    David Peace
    De Bruit Et De Fureur
    Décor De Jeunesse.
    Ebène
    Ecole De Londres
    Egon Schiele
    Expressionnisme Allemand
    First Blood
    Georg Baselitz
    Giacometti
    Giger
    Gilbert-Lecomte
    Gustav Mahler
    Henri Bosco
    Herbert Lieberman
    Hitchcock
    H.R. Giger
    Jackson Pollock
    Jerzy Kosinski
    Joan Eardley
    Julien Gracq
    Kaputt
    Ken Loach
    Kes
    « Kick And Rush »
    Kitaj
    Kosinski
    Kurt Sanderling
    Le Bonheur Des Tristes
    Le Chantier
    L’Échelle De Jacob
    Le Crime était Presque Parfait
    L'Enfant Et La Rivière
    Léon Bloy
    Léon Golub
    Lieberman
    Lindström
    L’Oiseau Bariolé
    Londres
    Louis Calaferte
    Luc Dietrich
    Ludwig Meidner
    Malaparte
    Mandelbaum
    Manifeste Pour Une Maison Abandonnée
    Marcel Moreau
    Matta
    Max Beckmann
    Michael Biehn
    Nécropolis
    Nerval
    Nicolas Alquin
    Octave Mirbeau
    Picasso
    Pollock
    Red Or Dead
    Requiem Des Innocents
    Roberto Matta
    Roger Gilbert-Lecomte
    Ron Kitaj
    Ryszard Kapuściński
    Schönebeck
    Shostakovich
    Stockhausen
    Sugar Ray Leonard
    Sylvie
    Terminator
    The 15th
    Un Balcon En Forêt
    Un Siècle D'écrivains
    Villiers De L’Isle-Adam
    Voyage Au Bout De La Nuit
    Wire
    Zumeta

Proudly powered by Weebly
  • Accueil
  • À PROPOS
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Météores
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales