Nicolas Rozier
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Georg Baselitz

7/10/2021

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"Der Hirte", 1966, oil on canvas, 162x130 cm
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"Rebel", 1966, oil on canvas, 162x130cm
 Pour les peintres de ma génération, nés à la fin des années 60 ou au début des années 70, pour les débutants en peinture n’ayant pas atteint la vingtaine à la fin des années 80, Baselitz faisait figure de vedette. Son nom et sa nationalité allemande, sa provenance des profondeurs ténébreuses de l’Allemagne de l’Est, dressaient du peintre, lorsqu’il paraissait dans une bribe de sujet sur Arte ou figurait en librairie dans une monographie des éditions Taschen, un portrait de géant rieur, goguenard et mollement provocateur. Sa tête rasée et son grand corps évoquaient sourdement un bagnard, ou, de façon plus équivoque, un matricule des camps, un ex-interné en passe d’y retourner. L’homme affichait déjà une grande notoriété liée notamment à une caractéristique formelle d’une partie de son œuvre. L’Allemand est surtout connu pour avoir peint des tableaux à l’envers, après avoir constaté qu’une peinture renversée permettait aux moyens de la peinture de s’imposer comme force plastique autonome, plus ou moins affranchie de la représentation. A cet égard, pour conforter son geste, Baselitz invoquait cette « preuve » que l’image remise à l’endroit ne fonctionnait plus. Il prétendait, de plus, peindre ses tableaux directement à l’envers. Cette manière de procéder fut et reste encore la marque de son œuvre, presque sa tarte à la crème, bonne à ressortir à la moindre actualité de l’artiste. Baselitz est celui qui « peint des têtes à l’envers ». Cette trouvaille ou innovation, en réalité, tous les peintres un peu travailleurs et obstinés la pratiquent, intuitivement, en tournant leur tableau autant que nécessaire pour trouver une brèche, une piste, l’amorce d’une composition robuste, nerveuse, dynamique. Si cette histoire de tableau peint à l’endroit ou à l’envers m’a toujours irrité, c’est que les tableaux présentés à l’envers, quand bien même ils seraient peints directement à l’envers ou peints à l’endroit puis retournés, suscitent tout simplement l’envie de les voir à l’endroit. Admettons d’ailleurs, ce qui est probable, que la version « à l’endroit » aperçue en se tordant le cou, s’avère en effet plus faible que « l’envers », les contorsions de l’approche gâchent l’irremplaçable et immédiat mordant optique d’un tableau. Mais Baselitz n’est pas qu’une arsouille ricanant de son bon coup dans les salles immenses d’un château et fumant son cigare entre deux commandes. Le millionnaire a jadis travaillé et cela lui reprend sans doute de temps en temps comme un vieux scrupule. Le Manifeste écrit avec son compère Eugen Schönbeck : « Pandémonium », accompagné d’œuvres dans une maison abandonnée, signale une époque où l’artiste a dû très sévèrement s’adonner à ce bricolage inquiet qu’on appelle «peinture ». J’aime alors la façon dont la peinture offensive de Baselitz invente ses sujets. Des têtes verdâtres, en amas de crânes testiculaires, peintes avec un soin de grand coloriste, ouvrent des yeux désolés dans ce qui ressemble, en guise de pandémonium, aux grèves d’uns échouage du désir. Des restes mêlés, vaguement siamois, s’éveillent d’une orgie de fin du monde. Les tons verdâtres jouent avec le gris de payne et l’ocre rouge. Les petits personnages, sortes de nains aliénés et priapiques, cumulent des traits provocateurs, avec une expression lassée et bouffie qui en parachève l’outrance et la bizarre lascivité. Au passage, Baselitz donne une version de la représentation humaine, telle qu’elle prend forme de façon gribouillée/envenimée sur le papier ou la toile quand on l’esquisse machinalement. Le tracé marque alors ses préférences ; la tête y est hypertrophiée, la rotondité du crâne, accentuée comme un bélier, donne à ce personnage de dessin qui revient spontanément sous la main, l’air d’un minotaure. Le motif « pèse-nerf » de cette tête qui monte du crayonné universel, sur un coin de carnet, en ne pensant à rien, ce personnage de dessin, chez Baselitz, se confond à un portrait d’Antonin Artaud. En traçant des silhouettes à l’encre, Baselitz fait des portraits automatiques d’Antonin Artaud. Baselitz en a dessinés et peints toute une série. Le peintre donne à sentir combien Artaud se prête au portrait, parce qu’une tête dessinée, lacérée de corrections, recouvertes de sillons, semble le grouillement teigneux d’un explosif. Or, cet état de châtaigne grillée et de cuir buriné met Artaud dans le collimateur, je veux dire que les traits d’Artaud s’accaparent, happent toute l’énergie de protestation qu’il y a dans un fouillis graphique attelé au modelage d’une tête humaine. Les têtes d’Artaud par Baselitz semblent ainsi des fétiches ratatinés. L’Allemand présente Artaud sous la forme d’une tête réduite ; un Artaud en navajo ou sorcier miniature, comme un modèle idéal à peindre. Je pressens que toutes les figures dessinées par Baselitz à l’époque viraient à ces têtes réduites plus ou moins ressemblantes. Il suffisait d’ébouriffer les cheveux mi-longs en tignasse, astuce très commode en dessin, et de durcir la face en la réduisant à sa structure osseuse, telle que le visage d’Artaud apparaît sur les photos de Denise Colomb. L’Artaud au visage de vieille sorcière garde encore, aux yeux et au front bombé, l’altière beauté du jeune premier de combat photographié par Man Ray dans les années 30. Artaud dessiné par Baselitz ou plus tard par le peintre flamand Karel Dierickx rend l’atmosphère invincible où Artaud, même médiocrement portraituré, comme fatalement voué à une sorte de semi-caricature imposée par ses traits, maintient sur le monde des arts une prodigieuse autorité. Artaud en fétiche, en fétu à grosse tête, assiège les peintres d’une hantise maîtresse où toute figure est d’abord, du moins chez Baselitz, une tête d’Artaud. Cette emprise est si prégnante que l’Allemand a dû sans doute, pour se sortir des têtes d’Artaud, inventer une ambitieuse série intitulée « Héros », où les corps en pieds des personnages sont à leur tour hypertrophiés tandis que la tête y semble posée comme celle d'un bibelot inexpressif qui dodelinerait si elle bougeait. Mais Artaud n’a pas été lâché pour autant. Car il semble bien que Baselitz ait su répondre, moins de vingt ans après la mort du poète, à l’un de ces constats décisifs à propos du dessin, plutôt à l’une de ses déclarations franches et abruptes où un vieux secret de l’art paraît tout d’un coup désenfoui : « A côté des figures, j’ai mis des arbres et des maisons », assénant par là une poétique élémentaire, immémoriale, et toujours radiante. Car en effet, Baselitz lui aussi, dans sa série des « Héros », s’attaquait aux vieux problèmes du portrait. Le peintre s’est même attaché très frontalement à trouver diverses manières de faire tenir debout une figure. Pour y parvenir, il s’est précisément aidé, comme l’avait découvert Artaud en essayant de faire tenir des visages et des corps dans la page, d’accessoires et d’objets accompagnant ses héros. L’arbre, bien sûr, ce double immédiat des figures et partageant avec elles le tronc, les bras, la coiffe et aussi le geste figé, énigmatique, des bras en l’air, mais aussi des foulards, des sacs, des charrettes miniatures, relevant autant du conte que d’une évocation des plaines agricoles de l’ex RDA. Ou encore des insignes tels que le drapeau ou le brassard, ici moins l’oripeau d’une cause perdue qu’un linge de fortune pour panser une blessure. L’habit vagabond, uniforme méconnaissable ou tenue de travail, souillé et patiné par le recouvrement poussiéreux du chemin et du vagabondage, campe lui aussi l’origine insaisissable de héros essentiellement de peinture. L’une des forces de cette merveilleuse série tient également à la valorisation d’un dessin légèrement gourd que Baselitz transmue en gage d’équilibre dans ses compositions. Cette fausse gaucherie contribue au raffinement d’aplomb semi-flottant des personnages. Il s’agit peut-être, comme j’ai pu le lire par le passé, d’un maniérisme, mais ce maniérisme individuel et non d’école renvoie davantage à une rudesse bouleversante des premiers graphismes rupestres. L’impression forte et étrange vient aussi des têtes typées et uniformes, à l’œil presque vide. Les têtes font moins humaines que sculptées. On croirait de fausses têtes de figurines au nez cubique sorties d’un moulage, et aux prunelles presque révulsées d’absence. Baselitz s’approche ici de l’épouvantail sans y verser tout à fait. Les membres éléphantesques sont pour beaucoup dans la mise en bûche des personnages. Accolés souvent à un arbre, leurs membres en ont le volume et la massivité. La rupture d’échelle entre le corps et la tête renforce le statut fictionnel de personnages de peinture qui ne renvoient qu’à eux-mêmes ; ils réfèrent à un monde peint peuplé d’êtres picturaux. Déterminante dans l’efficacité sensuelle, l’aspect dessiné, « à main levée » de ces grandes peintures leur donne l’énergie du geste inscrit, rend visible l’unité et l’armature du style : la ligne. Baselitz tient la série des « Héros » sur la brèche subtile du dessin-peint, ou de la peinture dessinée ; traits et couleurs prévalent sans se faire concurrence. Le réseau de traces fait saillir en treilles, effets de lianes et racines noueuses les couleurs claires ou foncées, toujours sinueuses, que l’artiste s’applique à faire contraster. Les couleurs montent d’une nuit ou d’un ciel blanc, d’une gamme terreuse teintée de reflets, d’auréoles roussies, et aussi, çà et là, de couleurs de tubes, de bleus rois et de rouges francs où la palette aime à faire déborder sa part d’artifice. D’autres motifs créent un fond de citation rejetée ou étouffée, notamment la période arlésienne de Van Gogh. Souvenirs du semeur, les graines volantes dans la main des héros entourent plutôt d’une nuée les bras ballants. Ce rapport leste entre le bras et les graines accentue au passage l’état inerte de pantin ou de statues flageolantes propres aux héros de Baselitz. Les héros remplissent l’espace du tableau. Comment faire tenir une représentation humaine dans un cadre, en gardant et en augmentant si possible, la qualité érigée de la stature humaine. Baselitz découvre que cette verticalité d’ambiance plus que de forme, peut tenir dans une posture assise ou inclinée. Baselitz veut peindre des figures humaines pour en faire de bonnes peintures avant tout. Les personnages ne deviennent que très imprécisément des sujets ; ils sont fertiles aussi à ce titre de moules à hantises pour le peintre qui les modèle au désir et voit se préciser au cours des séances peintes, touches après touches, les baudruches héroïques. L’artiste affrontait là un problème très ancien lié à la représentation de la figure humaine. Rien n’est si excitant à dessiner et peindre, rien ne présente tant d’écueils. Baselitz parvient à proposer une version espérée de l’homme peint, du moins s’est-il efforcé de donner une version d’appui pour d’autres tentatives à venir. Les réussites de l’Allemand sont entraînées, conditionnées par la prédominance d’un modèle, si flou qu’il soit, et même le plus flou possible. Je me souviens d’un petit tableau de Baselitz « Der Dichter » où un poète emblématique, anonyme et universel, est représenté sous la forme d’un fétu, les membres écartés au centre d’une toile, dans une variante du « Cri » de Munch où je soupçonne en puissance toute la série à venir des « héros ». Il y a du jeu dans cette identité indéterminée de personnage peint. Les héros de Baselitz sont des apprentis sujets en peinture ; Baselitz les barde d’accessoires et réussit à faire oublier discrètement la tête, miniaturisée et légèrement enfoncée dans les épaules. Du coup, la tête est mieux intégrée non seulement au corps mais aussi au paysage. Le portrait y est fondu à la stature colossale des anatomies. La tête devient l’antenne d’un visage répandu sur tout le corps. C’est peut-être l’héroïsme des personnages de Baselitz d’inventer cette ambiance de visage réparti sur l’ensemble du corps, en bardant les bras, les jambes et le tronc de détails qui généralement sont plutôt dévolus aux traits du visage. Par contagion, les vagues talus et les arbres, à côté des héros, sont eux aussi des genres de plastrons ornés de broches ; ils reluisent autant que la figure car tout est peint, dans ces tableaux, de façon égalitaire. Pour un jeune peintre, les tableaux de Baselitz des années 60 forment une espèce de pont à demi croulé, plongé dans les brumes, où les héros de l’Allemand affleurent, ils sont soigneusement inachevés, ils rutilent de détails encore à fourbir, c’est leur manière de tendre une main brûlante aux peintres à venir et de chauffer en eux cette modernité sans âge où couleurs, lignes et formes se retrempent, de générations en générations, à une âpreté d’origine qui les nettoie de tout passéisme. Quand Baselitz se met au travail, il lève des légions, des foyers sourds, écartés dans les provinces, au fond des garages.
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