Nicolas Rozier
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Hadriana dans tous mes rêves, René Depestre

3/13/2024

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Haïti bourdonne sous un soleil taché. Le grain de l’air est celui des visions et des heures poisseuses. Les secrets débordent sur la vie publique. En terre vaudou où rôdent les cyclones, le paysage entier est une veille de cataclysme. Quelques palmes rebiquent, sur les bas-côtés, mais les couleurs caribéennes tardent à éclore. Une latence vénéneuse assourdit les tropiques. Depestre y règle le ton du roman. Il n’en changera plus. Celui d’une extase appliquée, tout en pulsions et splendeurs maladives ; une entrée à fond de pulpe dans la chair désirante, parfois somnambule, jamais convulsive.
Depestre façonne une prose magistrale. Les mots s’y encastrent en carreaux de faïence. Tout : vocabulaire et syntagmes, prédilection pour des phrases plutôt courtes ou de forme médiane, lexique vaudou, notations érotiques, préciosités symbolistes, concourt à l’extrême rigueur des pages, au climat d’orfèvrerie calme et planeuse. L’exactitude et la justesse, passé un certain seuil, transforment les lignes, les caractères, en typographie supérieure. Telles se tournent les pages. Leurs finitions vont en bloc, en graphie collective, déchiffrable à vue, dès avant la lecture. Une saturation de richesses s’y décline, des gavages luxueux et languides s’y crevassent, mais grouillant d’une charogne baudelairienne comme miraculeusement ordonnée, sur son trente-et-un. Depestre ne sera jamais plus fort qu’en ses lignes mezza-voce. Sous le signe d’un ciel opalescent à l’unisson des charmes nubiles d’Hadriana Siloé, l’écrivain haïtien, dans une majesté sans accrocs, tresse un continuum de splendeurs. Les personnages, les dominantes d’un passage ou les détours de l’intrigue ; horreurs, grâces, étrangetés, bizarreries, cruauté, vertiges charnels et l’arrière-monde insidieux qui les couve, tous les motifs s’engendrent à la beauté, exhortés à la prolifération.
La zombification au centre du roman, au cœur de la culture haïtienne, au comble de la magie noire du vaudou, agit comme un leurre. Depestre ne joue pas de la corde scandaleuse et des sensations fortes du surnaturel. Il se saisit des vestiges, des témoignages, et en fait la basse continue d’une idylle, le coefficient multiplicateur d’un fantasme de jeunesse. Un prestige d'outre-tombe distingue l'idole. Car Hadriana, prodige de beauté, fut ensorcelée à l’heure de ses noces, donnée pour morte, inhumée et ressuscitée par un sorcier vaudou. Le roman débute ainsi, sur le drame d’Hadriana foudroyée sur l’autel, dans une apothéose de l’identité haïtienne. Après la scène aveuglante, la mariée foudroyée sur l’autel, le dispositif est en place.
L’époque éloignée de ma lecture m’avait empêché, il y a quelques mois, de revenir sur mon expérience, sur l’inattendue vibration de ces chapitres. Je ne gardais rien en mémoire de la noria d’entités lubriques visitant les femmes de l’île et secouant leurs corps comme des poules qu’on emporte dans un tintamarre de caquetages. Par-delà moralités et déviances, Depestre écrase les mœurs, ses frontières changeantes et fragiles, pour foncer à sens unique dans sa pulsion érotique. Lisant « Hadriana dans tous mes rêves », roman attrapé sur l’étal d’une brocante, – je ne connaissais ni le titre ni l’auteur –, j’assistais au développement, plus calme qu’exalté, d’un désir fait poème. Un désir à entendre ici sans entrave, et ne cédant rien de sa profonde excitation. J’ai perdu les détails de l’intrigue, et sans doute les avais-je perdus sur le coup, en tournant les pages, tracté par une écriture gorgée à bloc d’énergie sexuelle. Sans gêne ni honte, sans aucun embarras, ni posture provocatrice, Depestre raconte une île vouée au rut. Comme destinée à une apocalypse sexuelle. Les Haïtiennes et les blanches, au début victimes de sorciers, subissent des abus. Cela commence par les noces tragiques d’Hadriana dont le foudroiement au zénith donne le coup d’envoi aux débauches. L’île, dès lors, se dérègle, et les femmes sont nuitamment et bestialement visitées. L’excès des attentats, les agresseurs insaisissables, sortes d’incubes, enveloppent les faits-divers dans l’immunité du cauchemar. La sidération fait corps avec l’impunité. Derrière la façade du rang et de la respectabilité de la femme blanche, les proies sexuelles des démons vaudous nommés loas, passent d’épouse ou fille de maître à goules nymphomanes. Dans les faits, ces viols nocturnes, passé l’effroi de la prime étreinte, virent à un consentement donné durant l’acte, avec tous les luxes et les glissandi de cette volte. Les victimes cèdent à l’énorme jouissance procurée par les entités au centre de l’histoire : d’inconcevables organismes, sortes de papillons mécaniques aux trompes priapiques et membrures ingénieuses, âmes errantes d’Haïtiens zombifiés. L’épidémie d’orgasmes tient l’île dans une atmosphère de nymphomanie générale ; un état de fièvre copulatrice où les créatures nées de la sorcellerie deviennent les amants prisés, les irremplaçables dispensateurs du haut plaisir féminin. Hadriana dans tous mes rêves bascule ainsi rapidement dans un état de tempête sensitive. Ce ne sont plus, au fil des pages, qu’attentes fébriles dans la pénombre, adultères béants et spectaculaires. Les visiteurs lubriques, fleurs mâles à pistils télescopiques, lutinent si fort leurs victimes consentantes que les étreintes comportent dans leurs paliers imaginaires une part d’extase à la fois créatrice et meurtrière. Les femmes entreprises s’ouvrent charnellement selon des plis de corolles et d’élytres. Depestre y dresse une entomologie humaine où l’accouplement devient un nouveau continent de la poésie. A la description animée des saillies entre lit et plafond, on pense aux encres de Wols, aux symétries frétillantes de ses bulbes à pattes et  nervures. Une sensualité  glorieuse culmine dans la cérémonie sauvage en surplomb des lits démontés, prise à un accord ensorceleur entre la chair en émoi, les replis génitaux, les galbes et les sucs. L’érotisme cru fait corps avec la joie de l’inventeur. Les chambres moites n’ont plus de plafond ni de toit. Les prodigieux adultères se déploient, commis en lévitation, à une hauteur que l’on dirait le dessus des toits, cases ou propriétés, selon un angle de vue où les félicités ouvrent sur les criques. Par ces lévitations et migrations convulsives, Depestre trouve un raccourci caribéen de l’extase, une voie par les airs où le balancement des palmiers et l’alcôve ne font qu’un, dans une intimité vespérale, de souffle tiède et d’étoiles luisantes sur les flots. Les enjeux humains se dissolvent, dans l’intrigue, à la faveur quasi exclusive des demi-dieux lubriques, les loas, et de leurs noms à rallonge. Depestre énumère, dans les fumeux aléas relationnels, les phallus vivants et irrationnels, monstres cabotins à leur manière. On ne sait où ils vont, où ils se retranchent, et précisément ce qu’ils sont entre deux assauts. Ces démons lubriques du vaudou, en tout et pour tout, se disputent leur proie. Le tissu de leur concurrence ou de leurs relais dans les intrusions au sein des maisons, des lits conjugaux, entoure leur anatomie délirante d’un contexte burlesque que Depestre mêle finement à leur attrait sexuel. L’un d’entre eux se distingue finalement, devenu le maître d’une île devenue son sérail. Ses prouesses se résument au nom incroyable que Dépestre lui décerne : Papa Villebrequin.

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