Nicolas Rozier
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Léon Bloy

2/7/2022

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D’une flamboyance visible à cent mètres à la ronde, Léon Bloy domine les rayonnages. Sous des titres ravageurs, nombreux et uniques, Bloy assène à pleines liasses une faconde dont nul écrivain n’a tenu la cadence. Le phénomène de puissance et de roulis confine à l’irréel. Le déchaînement de forces, plutôt que de faiblir après sa montée en puissance, s’y réengendre à la surenchère. En partie en raison de cette densité exceptionnelle, Bloy demeure attaché, dans la mémoire collective, à l’offensive littéraire. Bloy se disait lui-même « Pamphlétaire par amour ». Or les mobiles de Bloy quand ils s’attaquent à tout le monde, ne m’intéressent qu’à demi, non plus que sa foi exaltée. L’une de ses récurrences d’élection, toutefois, l’apparition mariale dite de la Salette et ses petits bergers témoins, excède le prosélytisme violent et le climat d’anathème généralisé, par une certaine flexion du cœur où Bloy transparaît au plus blessé de sa flamme. Par-delà credo et hantises, Bloy, n’en déplaise à l’auteur lui-même, se lit très bien en laissant de côté les chevaux de bataille. Ou mieux, en les oubliant pour mieux les retrouver au détour de l’énorme dépense consentie par l’écrivain. Une dépense inventive pour laquelle, si je la trouvais chez quiconque aujourd’hui, même diluée à un cinquième, je bondirais d’enthousiasme et me lancerais dans une campagne de glorification acharnée et méthodique. À l’échelle du mot, de la phrase et des unités supérieures qu’ils composent, Bloy se saigne à blanc et en boucle. Je me suis souvent fait cette réflexion que la plupart des « écrivains », sur cinquante ou cent pages, hissait à la peine un seul de ces temps forts qui légitime un texte, quand Bloy les débite à volonté, en des crescendos et gradations virtuoses où écrire devient, non plus une activité de scribes perclus, penchés sur leur table d’idées naines, esclaves de formules toutes faites, de conventions fossiles égrenées à voix aigre et grelottante, mais une race inédite de tempête dont le lecteur a le privilège d’admirer les rafales. Bloy emporte dans une catastrophe, un séisme bouleversé où la force d’attaque par les mots, la fleur d’émerveillement isolée et les conséquences immédiates de son éclosion unique n’est pas un coup de chance, un mérite, un exploit, mais le niveau basique, l’obligation minimale d’un devoir, en deçà duquel il n’est plus question d’écriture mais d’impuissance, au sens le plus inexorable.
Bloy accusait avec un panache massacreur les insuffisances de ses prétendus confrères, leurs attitudes de lâcheurs, leurs révérences distribuées sans vergogne, leurs alliances pour être édité, le brouillard de magouilles dont ils s’appliquaient à masquer leurs textes penauds, leurs copies de poussifs. Bien sûr, ils l’ont tous détesté, tous, et Bloy leur a rendu au centuple, aimerait-on se dire. Mais Bloy ne put strictement rien faire contre la loi des faibles, invincible entre toutes, collective qu’elle fut et qu’elle reste. De clubs en salons, les ennemis se réchauffaient, entretenaient sans que cela leur coûte un effort, une démarche, encore moins un risque, l’ostracisme du détesté fulminant. Lire Bloy, et le lire à l’attaque des piètres, nous les représente à leur bureau, entre deux mondanités. Agrippés à leur situation, parfaitement à l’abri des aléas pécuniaires, soudés dans une entraide frénétique, ils n’en transpirent pas moins cette honte, en couchant sur le papier des brouillons, des élans dont ils sentent, avant même qu’ils soient publiés, imprimés en revue, combien ils allumeront de mépris et de rire défiguré en celui qu’ils affament mais qui les surclasse tous. Du moins Bloy ne les aura pas laissé dormir, ces littérateurs qui ne pouvaient se venger qu’à l’argent, espérant fébrilement, très fébrilement, que l’Histoire ne ferait pas son travail, que ce Bloy serait noyé dans l’opprobre, relégué à l’oubli pur et simple. Mais Bloy, l’enterré des cénacles, leur écrivait à flot, ne laissait pas une chance au non-dit. Et les coalisés, quand venait à paraître l’une des escarmouches imparables signée Bloy, se voyaient déjà ridicules, non caricaturés, comme cela arrivait, dans une règle du jeu acceptable, presque flatteuse, mais déculottés d’un trait, le pantalon aux chevilles.
Mais si Bloy harcelait ses ennemis à un contre cent, il les achevait encore mieux, sans le vouloir, à la splendeur, quand il retrouvait l’axe premier d’une création sans conflit, dans certaines régions de son œuvre en retrait de l’arène et des règlements de compte. Je pense en particulier au conteur de « Sueurs de sang », au romancier du « Désespéré », à l’auteur des « Histoires désobligeantes » ou aux propos de l’ « Entrepreneur de travaux de démolitions » où se déploie l’une des plus hautes spécialités de l’écrivain. Le spectacle de l’espèce humaine, prodigue en abîmes d’indignités, mais aussi en prouesses isolées et remarquables, fait la matière d’élection du redoutable conteur. Trois types humains, non exclusifs l’un de l’autre d’ailleurs, y sont criblés d’anathèmes, mutilés et remutilés : le catholique, le bourgeois et l’artiste. Dans cette malédiction colossale, les trouvailles de l’écrivain haussent les faits relatés à un niveau d’excès où les mots, proliférant à l’accès de rage et l’aisance rageuse, se métamorphosent à la fureur. Trait fondamental de l’écriture bloyenne, un courant de sentence prophétique s’y double souvent d’une drôlerie explosive. Par l’entremise du personnage témoin, délégué de l’auteur, le lecteur assiste aux stupeurs de Léon Bloy. Comment qualifier le final de l’histoire édifiante du « Gendarme Dussautour » dans « Sueurs de sang », quand ce gendarme retraité, sorti de sa tanière aux premiers coups de canon des Prussiens, et parti seul au-devant du régiment, réclame à l’officier en tête du bataillon : « Tes papiers ! » ? L’héroïsme désespéré d’une France morte façonne ce guerrier bourru, un amalgame de courage réveillé dans un corps presque prêt pour la tombe. Bloy pleure sur le drapeau en y mettant le feu et en brandissant la torche le plus haut possible. Mystère du charme de ces récits, l’excès des tempéraments décrits, inspirés outrageusement de la trempe de leur inventeur, génère des attitudes d’un burlesque inimitable. Mot-pour-mot, on croirait l’aventure, chacune des aventures conformes au visage forcené de l’écrivain : ses yeux exorbités, ses sourcils buissonneux et sa moustache de hussard. Un comique extrême naît de la coïncidence entre la désarticulation colérique des protagonistes et leur langage très châtié ; entre leurs manières soldatesques et leur verbe aristocrate. Toujours dans « Sueurs de sang », Bloy invente pour les soldats en déroute de 1870 une course à l’honneur, des séances de rattrapage isolant des bravoures et prouesses, métonymies vivantes de l’honneur français dont le prélèvement et la glorification rayent la victoire allemande et fustige la bestialité des casques à pointe, ainsi le commando surprenant le viol collectif d’une Française par des Allemands dans une cabane au fond des bois. À quatre contre douze, les Français refont leur guerre en un acte et terrassent les violeurs. Burlesques, épiques et funèbres, les contes de « Sueurs de sang » tirent les coups de semonce de l’honneur, et tous ils montent de l’ombre, de la marge et d’un héroïsme aussi truculent qu’imprévisible. Dans ses « Histoires désobligeantes », Léon Bloy brocarde sans frein la vilénie ordinaire tel qu’il n’aura eu de cesse de la harceler dans les milliers de pages de son œuvre, dans ses journaux et son « Exégèse des lieux communs ». La vélocité atteinte dans la détection et l’humiliation de l’infâme, par son art des suppliciations, touche au délire, comme c’est le cas dans l’exemplaire et anthologique « Parloir des tarentules », grand prix de la Comédie en un acte. Le héros, pris en otage par un versificateur, y expose une nuit d’épouvante à écouter les œuvres entières de son bourreau, dont « un drame biblique en cinq actes » et « quinze cents sonnets, plus de vingt mille vers ! ». Le traitement de la vanité littéraire passe tout ce que l’on connait en la matière. Voici l’homme quand il se proclame écrivain, prêt à tout, au meurtre s’il le faut, pour être vu et entendu sur ce perchoir à chimères où de tout temps il se voit à sa place, rien ne l’en déboulonnera. En un seul prototype, Bloy ne soulève pas seulement les annales de la cuistrerie littéraire, les trucages sans fin de ses prestiges arrangés, il compose le portrait animé d’un épouvantail humain dont La Bruyère a sans doute rêvé, un jour, de comprimer toutes les tares. Bloy invente ici un fléau qui échappe, tant ce Damascène Chabrol, héros du récit, déjoue les pentes de notre sentiment à son égard. Car si l’écrivassier graphomane donne l’effet d’un terrassier occupé de gros œuvre, ce danger public, persécuté par ses propres mots, asphyxié ou sursitaire de son emphase, ressemble fort, aussi, à un autoportrait échevelé de l’auteur.
L’animosité et la verve, à ce point incandescence, exigent des repos. Elles finissent par lasser, saturer. Même altier, même à la splendeur, le grognement, à longueur de pages, use son lecteur. J’oublie pour un temps celui qui fut capable de dureté envers Villiers de l’Isle-Adam, et à qui, pourtant, après sa mort, il écrivit un mémorable Tombeau. Je me repose de Bloy mais ce n’est jamais l’oublier. Avec Bloy, nuls adieux, jamais. Le rendez-vous est ouvert. Et les retrouvailles, en 2022, quand j’ouvre « Le Sang du pauvre » au hasard ou relis la préface sur l’enthousiasme, en préface aux « Propos d’un entrepreneur de démolitions », font taire les réserves et considérations soupçonneuses à l’égard de cet homme irascible. Soudain en prise avec une langue précise comme un français inconnu, aux lois inaccessibles, j’y trouve unis le goût, la fermeté, l’élégance, la ferveur, la force, la poussée, les larmes intestinales, pudiques et transmutées, j’y trouve le visage foudroyé de son homme, son exact et définitif filigrane, j’y retrouve vivants certains rêves sans suite sondés dans l’enfance, les rayons purs de son soleil in extremis, j’y éprouve le phénix de l’homme relevé à la poigne des mots dans un désert irrévocable.
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