Nicolas Rozier
  • Accueil
  • Bio / Expositions
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales

Thomas de Quincey

5/18/2023

0 Commentaires

 
Image
Abordant le cas de Thomas de Quincey, mangeur d’opium et double baudelairien à symétrie égale avec Edgar Allan Poe, je renonce à revoir le portrait gravé ou médaillon représentant les traits de l’auteur. De la lecture des Confessions d’un mangeur d’opium, traduit par Pierre Leyris, je garde le souvenir, somptueux et altier, d’une impression sans fin, aux propriétés de lévitation et de volutes, faites pour être traversées et retraversées au fil des pages et hors du livre. Ici, l’orfèvrerie déliquescente offerte au lecteur recompose en pierreries aériennes les nuées du sublime. De Quincey ouvre ses collections. L’homme a posé ses valises terrestres de condamné à la matière pour s’engoncer dans son cottage. Le vide crié autour de son emplacement rend la terre britannique à son statut d’île antique. Exception humaine retranchée entre plis et collines, solitaire d’un âtre au fond d’une masure sans lanterne, dans le silence agraire et le vent sifflant importé des falaises ou des landes, l’homme paraît n’avoir jamais rouvert la porte close de son fécond hivernage.
Piégé à la dose, après mille tracasseries, pourchassé par les créanciers, le cœur sabordé, et cerné au loin par des projets d’éditions évanouis à force de mauvaise volonté, De Quincey, l’un de ces morts avant l’heure, et qui cherche un trou pour s’étendre, fut de tous les esclaves de l’opium le plus endurant à vénérer son bourreau, poussant les hommages à cette vénéneuse à la hauteur des envoûtants rouleaux de « Suspiria ». Basculé dans les cercles de l’Enfer palpitant des surdoses, les fameuses 8000 gouttes dont le score rappelle celui d’Artaud, De Quincey n’invente pas seulement l’arborescence complexe de l’éclair opiacé quand il charge et enfonce les mondes, il fulgure dans la même lancée une exorbitation d’inventeur de l’Art, sans jamais s’arrêter ou même ralentir à ce point d’auto-émerveillement où l’indicible est la norme et la sidération la cadence. De Quincey nous inquiète et nous fascine à l’évocation de paliers, de strates, de passages et de seuils où le lecteur parvient à le suivre, à épouser ne serait-ce que l’amorce, l’appareillage torsadé, l’amorce mécanique des basculements inouïs et des gouffres non géographiques où ils mènent. Cet homme ravi revient en mots fiévreux sur la terreur inhérente à l’opium. Comme déporté un cran trop loin dans le rouge du couchant, il en crève le disque, et pour tout dire, l’œuf de Mélancolie. De tous les grands mélancoliques, De Quincey est celui dont les lignes, par le souvenir que j’en garde, répond le mieux à l’ambition absolutiste d’outrepasser la broderie méditative des couchants pour basculer inexorablement dans les distensions de sa chute à l’incandescence. De Quincey, semble-t-il, a franchi ces frontières en pionnier conscient. Voici accomplie la percée la plus fidèle à cet abandon extrême qu’est l’opium, à la prise cérémonielle et au rite cruel d’emportement qu’elle réserve à ses damnés semi-volontaires. Ce « transport » n’est pas réductible. Mais si la commotion dilatatrice ressemble à une extase réservée à des élus, De Quincey en dénie la portée mystique, parlant au contraire d’une miniaturisation des dieux, d’une relégation de toute hiérarchie métaphysique, telle qu’Henri Michaux, peut-être, dans ces labos de L’Infini turbulent ou de Misérable miracle, a pu en croiser les terribles et gratuits laminoirs. De Quincey n’est pas même resté longtemps ce miroir charnel où, dans les reflets vivants du morphinomane, se mirent des forces sans nom. A un stade avancé de son enfoncement dans l’opium, il se mit à refaire en mots la traversée du tain qu’il se sentait devenu à la fréquentation du pavot. Le temps, au premier chef, n’est pas suspendu ou révolu, il s’apparente à un crépuscule difficile, criblé de scrupules, de remords inaccessibles ciselés au cœur en d’infimes bas-reliefs, et résolus en de hiéroglyphiques translations. Non plus le temps donc, mais un porche où l’infini bonjour a le génie de l’adieu. Un porche monté sur des affûts de nuits coupées de tout mouvement vers le jour. Ainsi nous apparaît De Quincey, sous les poutres de son cottage, assis face à l’âtre et tisonnant de sa veille terrifiée un crépuscule inhumain, giron d’un rendez-vous déchirant avec la poignée d’êtres chers à son cœur. Dans son fauteuil, que j’imagine à bascule pour la forme mais fixe comme une coque face aux braises, le pilote de ces limbes véhéments visite à l’opium chacun des points d’écorchement de l’amour. La fleur de pavot, par décret hauturier, surplombe et écrase comme l’un de ses plus bas tiroirs à néant, les malentendus d’une heure ou de trente années entre un homme et une femme. L’opium en vient au fait. Le plus intime de l’Anglais, exploré en pleine pulpe, laisse en plan l’amateur de sensationnel, le client du délire, pour se livrer, avec la plus transperçante des acuités, à un rendez-vous si décisif qu’on ne pourrait le concevoir que sans suite, pulvérisation communiante, pâmoisons décapitées de leur paroxysme, n’était le continuum des exploits de l’auteur pour chantourner en de vertigineuses et véloces parades les éclosions de consternations sincères, dans le compte rendu d’alliage étrange, héroïque et dégrisé, de son expérience et de ses poussées dislocatrices. De Quincey ne s’en va pas, moyennant une discipline aussi brève qu’exigeante et hasardeuse, pour rencontrer ses amis en rêve et longer avec eux les parapets des cimetières, et se réjouir au réveil de leur privilèges de Peter Pan funambules, ainsi que René Daumal en inventait l’expérience dans son  Nerval le nyctalope, De Quincey se bat pied à pied avec sa plaie. Il y entre peu de fanfaronnade. Le récit de l’Anglais, si grave et pénétrant qu’il soit, prend même le risque, et le prend sans gêne, de laisser son lecteur à tel ou tel point d’une Abyssinie léthargique où l’opium, pour plusieurs pages, a retenu son fidèle. Les rescapés du récit, que tel passage pourrait affaler, se redresseront assez vite au tournant du voyage. La figure centrale d’un enfant mort, - la propre fille de l’Anglais ? - y rappelle jusqu’à la parfaite confusion un Amour oublié, un visage englouti, une croisée des chemins, une photo ou un nom, le visage d’un bonheur dont j’avoue ne plus savoir qui il fut, s’il fût quelque chose pour l’Anglais ; si l’opium lui inventa ce souvenir fondamental ou si mon impression subsistante sur ce point pourtant crucial ne s’avère qu’un énième sabordage de ma mémoire déficiente. Toujours est-il qu’il émane des incursions de l’auteur un Amour revenant, désenfoui à l’opium, et l’espèce de main tendue où l’espoir de tous les temps a taillé sa sculpture. Enfant perdu ou Amour emporté, De Quincey les hybride en les purifiant, au centre de son cottage multi-dimensionnel, dans une même arabesque de bois. L’état de migration et de lent foudroiement où l’Anglais retourne, par-delà tous les tourments, parfume le bois d’une pure odeur de passé où un cauchemar édénique semble faire la tournée des derniers hommes. Le passé reflue si fort, il suppure si abondamment des boiseries que la sève et l’essence du bois paraissent à leur tour fumables. C’est le chalet des contes qui pleure à la pipe de l’Anglais. Cette main tendue qui attend au fond de l’opium, sa réalité de main de brouillard traversant les mondes comme la flèche manuelle du cœur, elle s’avance, non à l’heure des revenants, frappant à la porte, surgie de ses lambeaux de dentelles ; elle arrive selon l’inclinaison du long trajet retour d’un « train pour les étoiles ». Déposée aux premières lueurs, charriée au plus doux des rayons, à la pointe du faisceau, le royal, qui entre les frondaisons cueille et soulève l’or encore pâle des prairies, elle descend ; et tout le dialogue perforant et chavirant au-delà du dicible sera de cette arrivée en pente dans le cœur humain de Thomas de Quincey.
Le gentilhomme à force d’opium réintègre son cœur, le fouille à forces déclinantes, en recollectant ses douleurs cardinales. Le chemin quotidiennement repris, le soir venu, des talus à silhouetter l’absolu, fillette-femme composite d’une famille géologique nervalienne, ne cesse plus de sauver l’être aimé dans un cœur qui, à volonté, le retrouve, car ce champion, à force d’arpenter l’infini, en a fait son royaume.

0 Commentaires

Votre commentaire sera affiché après son approbation.


Laisser un réponse.

    Catégories

    Tous
    1981
    5e Symphonie
    Adrian Lyne
    Albert Londres
    Alberto Giacometti
    Alejo Carpentier
    Alquin
    Anaconda
    Auerbach
    Barbé
    Barbé/Prevel
    Barbey D'Aurevilly
    Baselitz
    Beckmann
    Berni Wrightson
    Bloy
    Brisseau
    Bukowski
    Buzzcocks
    Canet-Plage
    Capitaine Conan
    Carlos Onetti
    Carpentier
    Cărtărescu
    Carver
    Cathedral
    Céline
    Charles Bukowski
    Contes De La Folie
    Dans Le Ciel
    David Peace
    De Bruit Et De Fureur
    Décor De Jeunesse.
    De L'amour Et De La Mort
    Demme
    Depestre
    Ebène
    Ecole De Londres
    Egon Schiele
    Eté Indien
    Expressionnisme Allemand
    First Blood
    Georg Baselitz
    Giacometti
    Giger
    Gilbert-Lecomte
    Grossman
    Gustav Mahler
    Hadriana Dans Tous Mes Rêves
    Henri Bosco
    Herbert Lieberman
    Hitchcock
    Horacio Quiroga
    H.R. Giger
    Hubert Selby Jr
    Jackson Pollock
    Jerzy Kosinski
    Joan Eardley
    Jonathan Demme
    Julien Gracq
    Kaputt
    Ken Loach
    Kes
    « Kick And Rush »
    Kitaj
    Kosinski
    Kurt Sanderling
    La Danse Sacrale
    La Geôle
    Le Bonheur Des Tristes
    Le Chantier
    L’Échelle De Jacob
    Le Crime était Presque Parfait
    L'Enfant Et La Rivière
    Léon Bloy
    Léon Golub
    Le Partatge Des Eaux
    Le Saule
    Le Silence Des Agneaux
    Le Vampire De Düsseldorf
    Lieberman
    L'Île Magique
    Lindström
    L’Oiseau Bariolé
    Londres
    Los Pasos Perdidos
    Louis Calaferte
    Luc Dietrich
    Ludwig Meidner
    Malaparte
    Mandelbaum
    Manifeste Pour Une Maison Abandonnée
    Marc Barbé / Jacques Prevel
    Marcel Moreau
    Marcel Schneider/Philippe Brunet
    Matta
    Max Beckmann
    Michael Biehn
    Mircea Cărtărescu
    Nabokov
    Nécropolis
    Nerval
    Nicolas Alquin
    Octave Mirbeau
    Picasso
    Pnine
    Pollock
    Prevel
    Quincey
    Quiroga
    Raymond Carver
    Red Or Dead
    René Depestre
    Requiem Des Innocents
    Roberto Matta
    Roger Gilbert-Lecomte
    Roger Vercel
    Roger Vercel – Eté Indien / Capitaine Conan
    Ron Kitaj
    Ryszard Kapuściński
    Schneider
    Schönebeck
    Seabrook
    Selby Jr
    Shostakovich
    Siouville
    Solénoïde
    Souvenirs D’un Pas Grand-chose
    Stockhausen
    Sugar Ray Leonard
    Sylvie
    Terminator
    The 15th
    Thomas De Quincey
    Un Balcon En Forêt
    Un Siècle D'écrivains
    Vassili Grossman
    Vercel
    Vie Et Destin
    Villiers De L’Isle-Adam
    Voyage Au Bout De La Nuit
    William Seabrook
    Wire
    Zumeta

Proudly powered by Weebly
  • Accueil
  • Bio / Expositions
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales