Nicolas Rozier
  • Accueil
  • À PROPOS
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Météores
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales

Terminator

3/7/2023

0 Commentaires

 
Image
39 ans après sa sortie, Terminator, le film de James Cameron, est une icône bien calée. Bien rangé à sa place d’honneur, le film n’en continue pas moins d’émettre sa lueur, cette teinte dans la lueur, gagnée par Cameron et son équipe. Car Terminator, luxe noir et rutilant, ne tient pas dans les limites de sa case, au rayon film B. A lui seul, le film détache un fragment, presque un blason d’époque ; l’insigne du centre des années 80. Car s’il est en vogue d'encenser la décade, j’entends moins souvent parler de la courbe d’intensité, pour le cinéma, dont les deux pics s’élèvent en gros en 1981 et en 1987. On oublie ce ventre mou, entre 83 et 85 d’une décade qui, entamée tout feu tout flamme, s’était quelque peu enrayée avant de repartir à plein régime jusqu’en 89. Des livres devaient paraître, à cette époque, j’ignore lesquels. La musique et les films, plus généralement l’image, la peinture, la BD, les clips, détonnaient plus fort. Ainsi,  couvant depuis l’extraordinaire année 1981, Terminator  explose en 1984, au moment d’un creux dans la créativité des eighties, au point de labelliser cette année à lui seul, rasant le souvenir d’Orwell. Terminator et 84 se tiennent, ils forment ensemble un nom de code. Comment raconter cette perfection de timbre refluant dans l’époque comme son exacte doublure ? Je rejette à l’avance le piège du ressouvenir consensuel ; cette nostalgie molle du quinquagénaire tournant sa calvitie vers l’image brouillée de son adolescence. Les souvenirs immérités, cela existe. Ils pendent à la face de ceux qui n’ont rien fait pour tenir ce cran d’intensité atteint à l’époque. Comment tirer jusqu’à nous ce pan d’étoffe bien réel où nous aimions notre temps parce qu’il possédait une force, une surdose, un désir ambiant - l’air en était électrisé, les moins enthousiastes l’admettent, et l’on aimait en être, avec un sentiment d’appartenance et d’embarquement pour un futur fier ? Sans doute en racontant notre rendez-vous à l’arrêt de bus, avec trois copains du collège Croix-rouge III, en classe de 4ème, tous habitants du quartier pavillonnaire « Val de Murigny » au sud-ouest de Reims. Ces maisonnettes de plain-pied comme préconçues, avant toute chose, pour le monde adolescent de la chambre, à l’intérieur, et le labyrinthe des allées, à l’extérieur. Pour nous quatre, la sortie était inédite. P. en serait, F. également et aussi M. Le trajet en bus, avec la ligne i des TUR, « transports urbains rémois », menait « Place du théâtre », là où convergeaient toutes les lignes. Nous avions 13 ans un samedi après-midi de 1984 et allions, rieurs, excités et largement pré-fascinés, au-devant d’un film dont la rumeur enflait dans les classes. Les flyers, les affichettes, les photos de plateau flanquaient les vitrines du Gaumont et aussi les commerces, les galeries, les radios, les vidéos-clubs. Une atmosphère télévisuelle et radiophonique, j’allais dire un grésillement vidéo tramait les rues, les allées et les squares. Un privilège de l’avenir, encore indéterminé, montait à l’horizon. Un phénomène partagé comme une fête et une prescience, dressait l’arrière-plan d’un orage en approche où grondait tout le génie de l’époque. Je garde le souvenir diffus, dans la salle obscure, de l’avant séance hilare et trublionne, mais aussi d’une inquiétude avide, à quelques secondes du début. Le cinéma, à l’époque, courtisait le genre et cherchait son étoile. Les futurs sombres de  New York 1997  de Carpenter, ou de Mad Max  de Miller, avaient posé des bases anti-utopiques ; mais les rebelles du New-York carcéral et les motards déguisés des routes australiennes, par exemple, lésaient le ressort d’une vraisemblance minimale. La part menaçante d’une technologie noire restait cantonnée dans une songerie sans forme ni vision plausible. Terminator, jusqu’en ses audaces de chevauchements temporels, « fait vrai ». L’action se déroule à Los Angeles en 1984 mais l’identité profonde du film et de son ambiance vient du futur injecté dans le présent et à l’hémorragie futuriste qui s’ensuit. La Californie à brushing et à walkman n’aurait eu que le charme à paillettes d’une vie rock, aux mœurs vaguement libérées, propre à de nombreux films de l’époque, si ce fond n’avait été magistralement embouti par le duel entre Reese et le tueur de métal. L’ambiance de motels et de voitures volées pour les courses poursuite ; les carrosseries grises ainsi que les armes à canons sciés, donnent aux éléments rares du décor un clinquant aérodynamique et monochrome. Il suffit que le Terminator ou Kyle Reese touchent l’un de ces accessoires, fracturent une voiture ou surgissent dans le premier décor venu pour y porter cette nuit perpétuelle qui sent la grenaille et le fer brûlé. Dans ce modèle de nuit d’une grande ville à la fin du XXème siècle, entrecoupé de souvenirs du futur, Cameron entrouvre les portes d’un avenir dont l’énergie agressive paraît vraisemblable. Celle d’une artillerie robotique assassine, d’un quatrième Reich où l’homme, réduit à une guérilla dans les décombres, est devenu la proie de ses propres machines. Terminator dévoile le fantasme de luxe de tous les cauchemars de guerre. Une guérilla post-apocalyptique perdue d’avance contre des machines surpuissantes. Parce que Cameron ne lève que rarement le voile sur ce monde dément, la brièveté des séquences en sature l’efficacité imaginaire. Car ici, nulle échappatoire fantasmagorique, nulle présence extraterrestre ne met l’imagination à distance de son objet. Ce retournement et cette domination des machines sont d’une catégorie de possible bien autrement inquiétante. Celle d’un cauchemar éveillé, terrifiant, où les survivants sont voués au combat et à la misère, aux assauts de nuit, à des opérations commandos conduites par des soldats bardés d’explosifs, terrés et hagards, entre deux coups de force, dans les boyaux de décombres crasseux. Dans les sous-sols, vieillards, femmes et enfants en loques, attendent la fin. De cette catastrophe, Cameron modèle le joyau noir, en prenant soin d’en biseauter toutes les facettes d’eschatologie new-wave et industrielle. La musique de Brad Fiedel entre nappes de synthétiseur et chocs de métal, invente un thème de l’impitoyable, un martèlement minimaliste à fort coefficient martial. Le compositeur trouve ici l’emblème d’une cognée d’enclume où retentissent alternativement la décharge sourde d’un orage artificiel et le tintement clair d’un métal indestructible, tandis que les boucles et les vrilles du synthétiseur scandent une impossible échappée. Cameron passe Los Angeles au mercure, en fait une ville en futurisme trempé. Une couleur de maquette, vert-de-gris, couvre ponts, entrepôts et tunnels. Les décors de nuit ont la sévérité mais aussi la dignité des talus d’un champ de bataille. Les lieux de refuge, pour Sarah Connor et Kyle Reese, deviennent aussitôt des hauts-lieux. Partout où ils passent, les coins de terre s'effarouchent. La force déployée dans les combats et la fuite créent un effet d'aspiration où les passants semblent engloutis et condamnés. Les héros s’affrontent au milieu de la foule, dans les centres commerciaux, les bas-fonds, comme si déjà personne n’existait plus. L’autre, les autres semblent massivement absorbés, disparus dans les effets de distorsion de la vitesse. Si les héros courent souvent dans le cinéma américain, c’est un critérium de l’alerte dans Terminator, presque un symbole de l’urgence. Kyle Reese, soldat du futur, est celui qui tire en reculant. Un romantisme à la gerbe d’étincelles jaillit de cette bravoure à reculons. Le film y trouve une part de son grand style. Le style sans fioriture d’un homme téléporté nu et dont la tenue urbaine sommaire, enlevée au passage dans le stock d’un hangar, donne sa mise définitive au type « guerrier de la nuit ». La veste « battle dress », les Nike montantes et le canon scié brossent à grands traits une tenue de combat nouveau genre, le nécessaire élancé du guérillero improvisateur. Michaël Biehn, torse nu sous les pans de son imper. Lui aussi, par sa provenance, tient du robot, de l’homme cuirassé et du ténébreux, sorte d’égoutier musculeux. C’est grâce à lui que le film prend contraste, sur lui que se réfractent tous les contrastes d’effroi, toutes les lueurs d’explosion et les clignotements de la rue. Dans une certaine mesure, quand le film est lancé à pleine puissance, Kyle Reese et l’androïde meurtrier forment à eux deux une espèce de modèle qui fusionne dans leur combat. Un prototype de héros presque invincible, de chair et de fer. Les visages de Schwarzenegger et de Biehn se superposent au fil des suées et blessures. La partition du Bien et du Mal passe au second plan à la faveur, si l’on peut dire, d’une Mort vivante distinguée par sa violence ; un instinct de combat, qu’il soit androïde ou humain. La guerre, dans Terminator paraît l’unique devenir, quels qu’en soient la forme, les vainqueurs et les vaincus. Les coups de flashs sur les villes détruites, couvertes de crânes et de gravats, pilonnées sans trêve par des engins à mitrailles et lasers, patrouilleurs en rase motte aux technologies exterminatrices, dressent un tableau béant dont la séduction vient de la désolation irrévocable. Ce ne sont plus les plateaux de féérie variables de Star Wars, c’est une tranchée de fin du monde et son théâtre d’agonie sous les feux croisés des tirs. La vision de Los Angeles détruite et labourée, le lit d’épaves et de carcasses n’est plus d’une ville bombardée mais de vestiges concassés et d’armatures calcinées, d’une sorte de charnier de pierre et d’os où rampent et se faufilent de rares sections de chocs, pulvérisées à la moindre détection des robots artilleurs survolant les ruines. A la vue de Kyle Reese pris dans une course pour sauver la future mère du chef de la résistance, ce fut comme si, dans ce cinéma Gaumont du centre de Reims, se condensaient et s’élucidaient tous les désirs de science-fiction, tous les climats de jeux vidéo guerriers, l’état royal des horizons soupçonnés dans les jeux « Vectrex » ou même à l’arrière des rampes de tir « Space Invaders ». Soudain, dans cette superposition de traits humains et androïdes naissait en chair et en os le plus beau des jouets virils ; la fierté personnifiée d’un élan presque sans cause, dressé ainsi qu’une statue resplendissante. Sommet isolé et sans rival d’une science-fiction urbaine, d’une SF frontale, d’autant plus proche de nous qu’elle sent la poudre et la rage des hécatombes historiques, Terminator, le personnage de Kyle Reese en tête, invente un héros anonyme, sans cape ni pouvoir, qui se bat avec les moyens du bord. Le héros d’un branlebas inscrit aux fondations des villes géantes. A ce titre, Kyle Reese, transposition physique d’une angoisse élancée, est une statue guerrière animée en même temps qu’un soldat mélancolique, un poète d’action au laconisme punk et new-wave dont James Cameron a inventé l’aventure sur-mesure. Si Michaël Biehn est si convaincant dans son rôle, c’est qu’il parvient à jouer la panique, l’effroi vissé aux yeux d’une condition humaine inconnue. Tout, dès lors, autour de lui, prend son poids de catastrophe, son TNT dramatique.


0 Commentaires

Votre commentaire sera affiché après son approbation.


Laisser un réponse.

    Catégories

    Tous
    1981
    5e Symphonie
    Adrian Lyne
    Albert Londres
    Alberto Giacometti
    Alquin
    Auerbach
    Baselitz
    Beckmann
    Berni Wrightson
    Bloy
    Brisseau
    Buzzcocks
    Canet-Plage
    Carlos Onetti
    Céline
    Dans Le Ciel
    David Peace
    De Bruit Et De Fureur
    Décor De Jeunesse.
    Ebène
    Ecole De Londres
    Egon Schiele
    Expressionnisme Allemand
    First Blood
    Georg Baselitz
    Giacometti
    Giger
    Gilbert-Lecomte
    Gustav Mahler
    Henri Bosco
    Herbert Lieberman
    Hitchcock
    H.R. Giger
    Jackson Pollock
    Jerzy Kosinski
    Joan Eardley
    Julien Gracq
    Kaputt
    Ken Loach
    Kes
    « Kick And Rush »
    Kitaj
    Kosinski
    Kurt Sanderling
    Le Bonheur Des Tristes
    Le Chantier
    L’Échelle De Jacob
    Le Crime était Presque Parfait
    L'Enfant Et La Rivière
    Léon Bloy
    Léon Golub
    Lieberman
    Lindström
    L’Oiseau Bariolé
    Londres
    Louis Calaferte
    Luc Dietrich
    Ludwig Meidner
    Malaparte
    Mandelbaum
    Manifeste Pour Une Maison Abandonnée
    Marcel Moreau
    Matta
    Max Beckmann
    Michael Biehn
    Nécropolis
    Nerval
    Nicolas Alquin
    Octave Mirbeau
    Picasso
    Pollock
    Red Or Dead
    Requiem Des Innocents
    Roberto Matta
    Roger Gilbert-Lecomte
    Ron Kitaj
    Ryszard Kapuściński
    Schönebeck
    Shostakovich
    Stockhausen
    Sugar Ray Leonard
    Sylvie
    Terminator
    The 15th
    Un Balcon En Forêt
    Un Siècle D'écrivains
    Villiers De L’Isle-Adam
    Voyage Au Bout De La Nuit
    Wire
    Zumeta

Proudly powered by Weebly
  • Accueil
  • À PROPOS
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Météores
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales