Nicolas Rozier
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Ron Kitaj

9/21/2021

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 Au début je fus peu sensible aux toiles de l’Américain. Découvertes dans un catalogue d’exposition consacré à l’École de Londres où Lucian Freud, Franck Auerbach et Léo Kossof me paraissaient supérieurs (exposition de 1999 à la Fondation Dina Vierny), je survolais les peintures de Kitaj, indifférent au maniérisme bâclé qu’à l’époque je voyais dans ses toiles. Comme cela arrive parfois, un souvenir médiocre se bonifie avec le temps. Ce fut le cas pour Kitaj dont j’allais croiser de nouvelles peintures, je veux dire de nouvelles reproductions, tout en révisant à la hausse celles qui m’avaient semblé négligeables. Ces tableaux souvent carrés, plutôt de grand format, sont des compositions dynamiques et très affirmées. De nombreux peintres, depuis Picasso, s’essaient à la combinaison d’un dessin tout en courbes et arabesques avec des à-plats géométriques. Y compris Bacon et ses corps tronçonnés par des effets de déformations. Kitaj, à l’aune de cette voie ouverte par Picasso, paraît l’un de ceux qui ont poussé loin cette confrontation du sinueux et de la droite. Cet axe d’écriture, avant même d’identifier les contenus, bestiaires, et reliquaires du peintre, s’interpose entre le regardeur et les toiles comme une grammaire en avant, délibérément exhibée. L’écriture de Kitaj ne s’en tient pas, d’ailleurs, à faire contraster les à-plats bien coupés et les formes torses, il manie plusieurs styles de représentation dont les voisinages heurtés aboutissent à de très stimulants effets de collage. Il résulte de ce sens très hétérogène de l’orchestration des assemblages de motifs où Kitaj se distingue. Peintures du XXe siècle, les tableaux de Kitaj empruntent à l’illustration, au dessin enfantin et au réalisme punk des peintres qui ne sont pas passés par les Beaux-Arts, cet académisme « tremblé ». Trait hautement distinctif de son œuvre, Kitaj montre un goût pour une sorte d’architecture intérieure multicolore. Un modernisme du mur et de la paroi tracés à la règle, de préférence dans les tons vifs typiques du mobilier et plus généralement de la mode des années 60, tel qu’on l’observe dans « Portrait of Walter Lippman ».  L’étiquette « pop » plaquée sur l’œuvre de Kitaj vient sûrement de cet emploi de couleurs vives entrechoquées sous la forme de patchworks. Cette propension aux angles nets touche aussi la représentation humaine, dont les silhouettes semblent prédécoupées puis collées dans les compositions. Une mise en contraste maximale en résulte. Kitaj peint ainsi des scènes de rue où des personnages bien d’aplomb et d’autres flottant dans l’espace sans souci de vraisemblance rappellent les attroupements aléatoires de la rue. Son art de combiner les profils, en buste ou en pied, d’agencer leur occupation de l’espace et leur distance les uns vis-à-vis des autres, fait de Kitaj un très grand peintre. Son dessin aérien, économe et juste, répand une délicatesse orientale sur ses tableaux. Une tendance au fuselage et au gabarit losangé des corps. La plénitude graphique des images se double d’échos nombreux en raison des références et citations dont Kitaj sature son œuvre. Toutefois, quiconque ne connaît rien de l’attachement de Kitaj à T.S. Eliott, à son intérêt pour Walter Benjamin ou Constantin Cavafy, n’en goûtera pas moins l’efficacité plastique immédiate et la modernité généreuse des peintures. Chez Kitaj, la faculté à faire cohabiter des styles graphiques très différents et contrastés dans un même tableau, ouvre une voie de contraste dans la figuration à peu près sans précédent depuis les tableaux de Picasso tels que « Pêche de nuit à Antibes » ou les portraits de Dora Maar. Basquiat, lui, dans un vocabulaire hybride jouant du graffiti et du style primitif des masques africains, a peint des tableaux relevant de schémas directs comme s’il pensait en direct du tableau son image. Kitaj, avant Basquiat et avec une finesse sans comparaison avec la brute Picasso, a peint des scènes humaines comme inspirées de griffonnages de cahier mais luxueusement mis en scène et inspirés de modèles vivants ou photographiques. Auteur de collages au début de sa carrière, Kitaj manie à merveille le patchwork. Des lignes droites de plans, de murs ou d’immeubles, jouxtent des personnages inventés (et parfois récurrents d’un tableau à un autre tels que le juif sourd, le cow-boy, le grec de Smyrne) dans une mixité de perspectives cavalières et écrasées qui les tiennent serrés et emboîtés. Montants de lit, accessoires, gris d’asphalte, lettres d’enseigne, mobilier et voitures voisinent en fragments, dans une équivalence de puzzle avec des personnages en attente d’emploi ou placés en force, casés au croisement d’une histoire non racontée mais comprimée dans ce rassemblement d’humanoïdes. La sympathie rayonnante suscitée par l’œuvre de Kitaj est aussi à trouver du côté du peintre et de son parcours. Nouveau juif errant, artiste « diasporique » venu à Londres pour créer à l’écart du courant dominant new-yorkais, il y a un peu de Martin Eden chez celui qui fut marin sur un pétrolier et voyagea à la Havane ou encore en Catalogne. Kitaj, pour qui les livres, selon ses propres mots, valaient ce que valent les arbres pour un paysagiste, ne se départit jamais d’une littérature aimée, citée dans ses tableaux, allant jusqu’à commenter à l’excès ses œuvres dans leur relation étroite avec des strates littéraires. Mais avant même d’identifier ces passerelles verbales – explicites ou allusives –, les tableaux de l’expatrié américain affichent un tranchant littéraire, un soin aiguisé des formes, séparément et dans leur agencement ; un soin similaire, en formes et en couleurs, à l’emploi maniaque des mots chez un écrivain. Kitaj, dont le dessin est certes plus effilé et l’art de composer plus éclaté, me rappelle Max Beckmann. Les deux peintres ont en commun le remplissage et l’emboîtement, les scènes combles, mais aussi l’emploi de couleurs « sorbet », abricot ou mentholées. Sinon que Kitaj varie le traitement de ses figures et dispose d’un clavier plus étendu de manières. Des personnages brouillés se mêlent à des silhouettes tracées à la ligne claire. Certaines affichent le modelé d’un réalisme désinvolte, d’autres ressemblent à des bonshommes d’illustration ou des figurines naïves aux proportions fantaisistes. La disparité d’emprunts à des univers visuels tels que la bande-dessinée, l’illustration, le dessin d’affiche, le gribouillis d’enfant ou le monde du cinéma suscite peut-être l’estampille pop, mais Kitaj manie une écriture à styles multiples et élastiques où une élégance générale, une beauté qui lui appartient en propre rejaillit sur chaque élément. Revenant un instant au souvenir d’un premier « aperçu » des toiles de Kitaj, vues dans le catalogue de l’exposition à Paris, je remarque que Kitaj est le peintre qui est le mieux parvenu – d’autres le tentent partiellement mais jamais aussi franchement – à faire en sorte que la peinture à l’huile ou à l’acrylique frottée sur la toile ressemble au crayon de couleur. On croirait « Melancholy after Dürer » ou « Whistler vs Ruskin » réalisés à coups de crayons de couleur géants. L’effet usé/tramé sert au mieux l’éclectisme des compositions. « La plupart de mes tableaux ont plus ou moins une histoire » dit Kitaj. Je pense que l’artiste y trouve de quoi oublier les problèmes de ce qu’il devrait peindre ou non. Plutôt que d’en rester au poste tétanique de l’artiste face à sa toile, Kitaj trouve l’envie neuve qui réside dans le désir de narrer une histoire en peinture, avec les raccourcis, déformations et réseaux d’allusions qu’elle autorise. L’artiste est un champion du désennui en peinture. Juif américain originaire de Cleveland, Kitaj crée une peinture d’occidental hanté de soleil. Il appartient aux descendants des « Femmes d’Alger » de Delacroix. Il puise aussi dans une quantité d’archives visuelles et littéraires. Son utilisation d’agrandissements d’images de films retentit dans son art de composer et dans les atmosphères des scènes peintes telles que « Cécil-court London ». Un cinéma peint naît de ces imbrications. Depuis longtemps, j’ai la sensation latente d’un style de peinture qui pourrait naître du film « La Corde » d’Alfred Hitchcock, et Kitaj approche ce qu’elle pourrait être. Du studio de cinéma renversé à coups de lignes rompues et envahi par des statuettes, des personnages ou des fétiches occupant ces espaces comme des rémanences de l’imaginaire, des acteurs de séquences jamais tournées. Ron Kitaj propose des espaces de rêverie renouvelés et inventifs où le plaisir de peindre s’accorde au plaisir de voir. Face aux jubilations bricoleuses du peintre, le regardeur est séduit, autant par l’efficacité visuelle du tableau que par le genre de liberté et d’ingénieuse audace qu’il atteste. Kitaj semble réussir à se prendre au dépourvu d’une toile à l’autre si bien que l’énergie de ses œuvres, le plus souvent, véhicule un sang frais de projet où l’impulsion initiale est inscrite et devient très vite un travail abouti. L’artiste sait maintenir la tension d’un dessin « à main levée » dans des peintures pourtant soignées comme des intérieurs raffinés. La rue et les extérieurs ont des finitions de salon ou de patios fleuris. Une ambiance de maison d’architecte cohabite avec le tracé brouillon d’un croquis de gamin. Même la propension acidulée de la palette me semble venir de Delacroix ou de Matisse plus que d’un versant pop. Kitaj dresse plutôt un pont entre les compositions très élaborées d’un Velazquez et l’art du gros plan cultivé par le cinéma et les revues correspondantes. En 1994, Kitaj a suscité une campagne d’articles féroces lors d’une rétrospective anglaise. Le peintre a prétendu que cette vague d’animosité a précipité le décès de sa femme atteinte d’un cancer. Lui-même se suicidera en 2007. Il serait sans doute oiseux et indécent de rouvrir ces plaies mais il n’empêche que cette curée met en évidence une réalité implacable. D’une part, Kitaj parlait de ses œuvres comme il lui plaisait de le faire. D’autre part, admettons même, ce que je ne suis pas allé vérifier, qu’il ait commenté à outrance ses tableaux, en quoi cela pouvait-il atteindre et nuancer la vision frontale de ses peintures ? Avec le recul de quelques décennies, quels peintres, y compris parmi ceux de l’École de Londres que j’admire, dont Auerbach et Kossof, pourraient prétendre avoir fait preuve d’autant d’invention et de relance dans leur création ? A côté de Kitaj, Auerbach et Kossof dont j’aime profondément la peinture, –modelée dans cette pâte que Kitaj lui-même nommait « The human clay », « l’argile humaine », paraissent répétitifs. L’imprévisible ne saurait suffire à fonder une œuvre, mais c’est là une clef de ce qu’on peut espérer de la peinture. Le recommencement d’un charme pictural distribué à neuf dont Kitaj possède la trempe créatrice.
 


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