Nicolas Rozier
  • Accueil
  • À PROPOS
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Météores
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales

Picasso

2/19/2023

1 Commentaire

 
Image
Longtemps, j’ai rejeté Picasso. Ses outrances novatrices, ses figures grotesques, supports d’une nouveauté à tout prix, son cabotinage prétentieux et hâbleur, son égoïsme drapé dans sa légende de minotaure, son cubisme rébarbatif, sa suffisance avec Antonin Artaud, qui lui valurent trois lettres, dont une troisième virulente et méritée de l’éconduit, son allure poseuse, en marinière ou torse nu dans son gros short, quasi couche-culotte de vieillard lubrique, en décontracté iconique, en plus grand peintre du monde ; sa signature usée, son nom mondial, marque de fabrique voisine de Bob Marley et de Marylin sur les draps de bain, les drapeaux et toute la quincaillerie à leur effigie, et encore et toujours son imagier saltimbanque, ses arlequins, ses acrobates, ses guitares et ses violons en morceaux, son air satisfait avec Cocteau et tous les poseurs à voix de fausset comme Paris aime et aimera toujours à les couver ; sa cour penaude, « picassiettes » inclus, comme se plaisait à ironiser le peintre ; ses amis et courtisans en vacances, à sa table ou agglutinés autour de lui lors des férias et des liesses populaires. Tout le folklore frelaté de la frime mondaine, sans parler, pour ne pas déranger la carrière du génie, de la petite Raymonde, l’orpheline adoptée avant d'être « confiée » à Max Jacob.
Puis le temps est venu, progressivement, par glissements d’autant plus insensibles qu’ils désavouaient une de ces positions tranchées que l’on ne quitte pas sans trouble, d’aimer sa peinture.
J'en suis venu à aimer Picasso en peinant au dessin, plus encore à la peinture, lassé d’une représentation trop esclave. Tous les néo-expressionnistes allemands, les milliardaires à astuces qui ont compté pour moi, peuvent toujours faire les malins ; leurs provocations chics et ressassements sur l’histoire teutonne, oscillant d’atmosphère et de style entre austérité gratuite et pied de nez loufoque, - les deux penchants, interchangeables, se valant -, jouant tantôt de la morgue, tantôt de la clownerie qui plaisent tant dans les cocktails d’ambassade, n’ont jamais cassé la baraque.
J’ai mis du temps à remarquer, notamment chez les surréalistes hispaniques et latinos, mais aussi chez les Cobra ou le meilleur Dubuffet, l’influence pénétrante de Picasso, la portée libératrice de ses avancées. La manière dont elles ont aidé et continuent d’aider la peinture à se faire. En chacun des tableaux de Pablo Picasso, une fermeté d’action, d'affaire expédiée, préside à l’éclat. La phrase archi-galvaudée où le peintre prétend avoir tenté, à longueur d’années, de réapprendre le dessin de l’enfance, sa grâce passagère, garde une vérité invincible. L’une des signatures les plus frappantes du peintre tient à sa fraîcheur d’attaque. La main sûre d’un désir transmis directement, de façon presque fluidique aux gestes et aux traits ; un désir tout puissant oublieux du public et de l’exécutant lui-même. Par sa manière franche, subtile et rare, d’un pur élan, Picasso nous livre en art un désir presque sauf de toute médiation. Chez Picasso maître de cette enfance, un enjouement fondamental rugit d’un seul coup, extrait de cette chambre royale où il reste le plus souvent, chez l’écrasante majorité des artistes, une image rêvée, tâtonnée dans l’obscur et obstinément emmurée. La sûreté sans crainte propre à l’enfance du dessin, l’observateur en retrouve quelque chose en chaque œuvre de Picasso. L’impression d’une volte dans les habitudes, un raccourci de la distance entre la peinture rêvée et la peinture faite. La magie procède d’une somme de facteurs qu’il serait hasardeux de vouloir isoler. Pour autant, il est possible d’observer, par exemple, que Picasso n’aime pas la peinture brouillée, les triturations de la matière épaisse et les boues complexes qui en résultent. Picasso peint net et tranché. L’artiste soumet tout acte créateur, chacune de ses expérimentations débridées, à la discipline d’une grande tradition où chaque zone peinte paraît consacrée, jamais cédée à l’anodin. Chaque Picasso lève un passé qui sent la verrière, l’atelier géant, le maître et les élèves. Monté du Quattrocento, un parfum d’encaustique flotte autour des œuvres de l’Espagnol. Dans le geste du peintre subsiste l’ascèse d’un maître ancien déporté au XXème siècle. Au reste, le novateur effréné n’a jamais franchi une frontière que ses héritiers directs, Matta et les surréalistes latino, ont passé après lui. Jamais Picasso n’a peint d’animalcules à la Michaux ou d’homoncules à la Matta, encore moins de ces bolides indéfinis d’allure biomécanique brochés-griffés aux dessins-écrits d’Artaud. Picasso en resta à la nature morte, au paysage et au portrait. Et dans ce carcan de sujets, il poussa de la façon carabinée que l’on sait les interprétations de l’anatomie et de la forme des choses, à un degré d’animisme pictural où selon les mots mêmes l’artiste doué pour ce genre de bravade : « même les casseroles peuvent crier ». Que Picasso se soit astreint aux grands sujets classiques ou qu'il les ait choisis, met en évidence une prouesse typique du peintre. Prenons Pêche de nuit à Antibes ou l’une des célèbres versions des Ménines, mieux, celles des Femmes d’Alger. Nous avons certes affaire à une peinture traitant de coordonnées connues, avec un haut et un bas, une perspective, qu’elle soit écrasée n’y change rien, tandis qu’objets et figures posent à leur place. Cependant, lorsque l’image se dévoile, Picasso pousse ses composants à une révolte imaginaire. Un désir d’épure que Matisse partagera dans ces collages et autres « Danses », impose aux formes une discipline géométrisée où le raidissement et la schématisation se confondent à l’effort de modernité. Soudain, les protagonistes, qu’ils soient au départ des personnages humains ou animaux, des meubles ou des objets, prennent la pose d’une sophistication fallacieuse, celle de vieux jouets ou de marionnettes stylisées retrouvés dans les coulisses englouties d’un théâtre, à Byzance. Les jeux de lignes et de pans, dans les grands tableaux de Picasso, joignent le sérieux d’un plan d’architecte à la bagatelle érotique ou à la farce, non sans une trivialité d’artiste de foire. D’un enfant de prince raffiné et impatient, on dirait l’enlèvement des grandes effigies inachevées que les orfèvres du jouet lui préparaient. Picasso fait ses tableaux en disposant des attelages de conte enlevés d’on ne sait quelle caverne d’enchantement syncrétique. Aussi, bien avant de représenter un être ou une chose avec un goût pour les formes mi-animales mi-humaines que l’on pourrait dire « en dos de girafe », les parties du tableau, pans et quartiers en aplats, prennent une autonomie de plaques découpées brandissant leur splendeur, leur valeur de tessons extraits d’un ensemble fastueux, exotique et préhistorique. L’artifice rutile et les intuitions sensuelles de la peinture appliquée, du drame à mains nues à quoi accède l’acte peint chez Picasso, occupe toute la scène, ses devants et ses arrières.
Car Picasso est de ceux qui activent, en appliquant la peinture sur la toile, ses propriétés fascinantes et exclusives. L’artiste quand il trace ou couvre, sauve l’état de fraîcheur luisante de la couleur posée. Il possède l’art du coup de lumière de la couleur allumée.
Pour l’aspect coupant des parties, pour aiguiser au mieux leur tranchant, le peintre a dénudé le canevas des tableaux, le soubassement grondant de leurs assises, et en a tiré des carcasses, solitaires et indépendantes de leur sujet, des statues nettes et lisses, faites pour l’emboîtement dans la composition. La manière dont Picasso cloisonne le tableau comme un maître verrier, son insistance sur les lignes de forces qui structurent l’espace, opèrent en lui le dessin de stries franches, l’étoilement à branches cassées d’une brisure, sinon que rien ne casse. Subsiste alors, en lieu et place du plomb séparateur dans les vitraux, une impression de nervures, de lignes palpitantes débridées de leur gaine. Le pan, chez Picasso, prend une valeur magistrale, au point que son dessin se construit depuis leurs imbrications. Maître du tableau-puzzle, jusqu’aux expériences du collage dans Femmes à la toilette par exemple, Picasso a élevé l’art de fractionner la toile ou la feuille à un niveau imprévisible avant lui. Une magie de conte, l’accès un monde élémentaire et merveilleux naît de ce traitement, j’allais dire des contours ou des cernes, mais nous ne sommes pas chez Rouault, qui en est l’expert, nous sommes chez Picasso, et lui excelle dans la symphonie brève, poème symphonique si l’on veut, d’une virtuosité du télescopage, d’une tectonique de l’aplat en dents de scie.
Un art de vivre déborde de ces fonds unis ou ornés. Un nuancier de tapissier surfin émane en puissance des tableaux, mêlé au goût de plâtre des maisons en chantier, des maçonneries en cours, et aux motifs criards de la décoration domestique. Un universalisme, un humanisme du foyer, du home sweet home croise chez Picasso le gigantisme de talent et d’échelle. C’est que Picasso a trouvé dans la peinture le médium roi pour inventer sa vie, et il ne fit rien de moins, sa vie durant, que d’aller droit dans le merveilleux et de s’y frayer sa voie d’un tableau à l’autre. Un merveilleux quotidien, populaire ou emprunté aux traditions étrangères. Un merveilleux féminin, plus idolâtre que démystificateur. La femme peinte, chez Picasso, peut toujours prendre les noms de muses majeures, la même divinité peinte en emprunte les masques. Sa peinture est dévouée au plaisir, et à l’extension de sa jouissance. Les audaces de Picasso sont d’un jouisseur plus encore que d’un inventeur de forme. Il semble que la fièvre sexuelle de « Minotaure », comme toujours haletant, sorti d’un buisson et relevé d’une étreinte, ait frayé des tropiques méditerranéens. Quelle action « à température », quel acte climatique peuvent mieux correspondre à l’été espagnol que cette canicule ambiante de sexualité peinte ? Des neiges pyrénéennes aux fournaises andalouses, Picasso en porte au regard l’extase bourrue. Une surchauffe solaire aux miroitements maritimes. Rôdeur ébouriffé des couchants cuivrés entre l’Europe et l’Afrique, Picasso est une sorte de vulcain de Majorque longeant les côtes.
La Méditerranée est sa maîtresse en composition. Chez Picasso, les formes courbes ou hantées par la courbe rappellent les criques et les hanses du littoral. La couleur n’y vire pas à la transparence polynésienne ou à celle des Caraïbes, elle prend ses forces au vieil or du Golfe du Lion entre reflets cuits et orage. Picasso est l’homme de la Méditerranée. Peindre, c’est l’autre métier des côtes méditerranéennes. Pêcheurs, nageurs, solitaires et peintres partagent le rivage et le même sucre originaire, le même souffle pris à l’exhalaison des pinèdes de nuit. En chacune des peintures de Picasso, je vois l’homme fou du midi, un véritable, un authentique fada de ce face-à-face entre l’homme et le soleil, face-à-face d’ailleurs plus souvent surplombant et oblique que Van Gogh aussi était venu retrouver pour s’y éblouir à la vie à la mort. Picasso fut à sa manière un fantastique réflecteur, par toiles interposées, des terres ocres inondées de soleil. Je veux tout, crie chacun des tableaux de Picasso, dont la volée de formes unit une espèce de bagatelle peinte à une splendeur sophistiquée.
En ce rôdeur des dunes et des crêtes rocheuses gronde aussi le thaumaturge d’un âge précédent le métal, d’une ère où le soleil donna aux hommes les premiers rêves du minerai fondu et ouvragé. Picasso peintre se souvient, avec ses yeux et ses bras, de ce climat de forge à ciel ouvert, et il en déduit les plus inventives de ses formes. Carrossées, tels des assemblages de tôles ou de boucliers aplatis, elles passent à la toile, métissées par l’exemple des fétiches tribaux, des masques d’Afrique noire aux formes ovoïdes et aux grimaces tétaniques. Ici prend effet le dessin d’une modernité intouchable, sans prise, indémodable, ici prend son essor le graphiste accidenté, le magicien géométrique qui sait trouver l’intensité des tournures dans les formes plutôt qu’il ne défigure. A cet égard, les portraits de Dora Maar flanquent des essais de dessin libre réalisés en connivence avec les secrets de la face humaine. Ces portraits crevassés donnent le jour à des portraits peints où c’est la tête humaine vivante qui ressemble à la peinture et non l’inverse. Bouquets explosifs de la tête dont la peinture recèle le modelé, redistribution des traits de la tête en grand arroi de caricature désorientée, il émane de ces évocations de visage aux facettes géométriques une liberté autoritaire qui semble en faire trop pour ouvrir la voie à ceux qui suivent. Picasso se garde bien de laisser je ne sais quelle expression prendre le pas sur le tout puissant agencement des formes et l’efficacité optique de leur assemblage. Ses conglomérats de lignes brisées ne se laissent pas détourner par les pesanteurs vagues de la psychologie. Le lâché fascinatoire des formes entre elles, unies et réciproquement tranchantes, s’aiguisant les unes aux autres, l’emporte sur toute lenteur d’intention sous-jacente.
Picasso aime l’angle et la pointe d’une passion inexplorable. Les deux caractéristiques mettent les portraits au carré autant qu’elles élancent en Babylones impromptues les moindres silhouettes d’édifices. Picasso minotaure, gardien des secrets d’une Atlantide picturale, Espagnol autant qu’Égéen, encastre une majesté d’architecte dans ses tableaux. Les demoiselles d’Avignon autant que Guernica dressent des profils industriels, des manières de herses ou contours dentelés, des silhouettes de machines ou d’objets donnant aux scènes peintes un fini élancé où se confondent indices futuristes et schématisme primitif. Je pense à l’espèce de bombe à pointe, d’autant plus mystérieuse qu’elle ressemble à un réacteur, surgie de la gueule suppliciée de cheval, dans Guernica, et au visage en masque africain dans les Demoiselles d’Avignon. Ces deux signes au milieu des compositions concentrent un taux saturé de modernité, l’exacte part d’étrangeté nerveuse distinguant le moderne. Ils suffisent à ce que le tableau tienne ; ils assurent le contrepoint, en regard des zones plus reconnaissables, du désir le plus noueux du peintre, en pleine éclosion d’inconnu. Les deux détails plantent une névralgie que rien à ce jour n’a calmé. Le regardeur ne pose jamais son regard sur les deux détails énigmatiques sans y trouver une hypnose à chaque fois rechargée, il ne peut les fixer sans sauter dans un rêve, une formule rêveuse à effet immédiat. Le thème guerrier et la portée revendicatrice font corps dans leur camaïeu gris de grande peinture historique, mais Guernica est surtout, au-devant même des massacrés dont il dresse la stèle, un hymne, avec les morts qui voulaient vivre, au dessin, de même que le visage tribal de la prostituée, dans Les demoiselles d’Avignon, inaugure un nouvel âge de personnages graphiques entièrement constitués par le désir de peindre. Picasso ne peut aimer davantage de cet amour déchirant et post-mortem les martyrs de Guernica qu’en les unissant à la force passionnée de son dessin inventif. Le tremblé rigoureux du trait est à l’honneur. Un trait riche d’une qualité comme cordée par l’expérience du peintre ; un laconisme de geste tracé en retenant son souffle ; un style de ligne également empreint du charme des décors préparatifs pour un décor d’opéra ou les sous-bois obscurs des premiers Walt Disney. 


1 Commentaire
Meyer sarfati
2/20/2023 01:43:42 pm

Une manière d'approcher l'œuvre de Picasso en " picador ", d'écrire comme il peint, par découpages et à grands traits , et les mots jetés follement retombent toujours justes , il n'y a jamais un mauvais tableau de picasso

Répondre

Votre commentaire sera affiché après son approbation.


Laisser un réponse.

    Catégories

    Tous
    1981
    5e Symphonie
    Adrian Lyne
    Albert Londres
    Alberto Giacometti
    Alquin
    Auerbach
    Baselitz
    Beckmann
    Berni Wrightson
    Bloy
    Brisseau
    Buzzcocks
    Canet-Plage
    Carlos Onetti
    Céline
    Dans Le Ciel
    David Peace
    De Bruit Et De Fureur
    Décor De Jeunesse.
    Ebène
    Ecole De Londres
    Egon Schiele
    Expressionnisme Allemand
    First Blood
    Georg Baselitz
    Giacometti
    Giger
    Gilbert-Lecomte
    Gustav Mahler
    Henri Bosco
    Herbert Lieberman
    Hitchcock
    H.R. Giger
    Jackson Pollock
    Jerzy Kosinski
    Joan Eardley
    Julien Gracq
    Kaputt
    Ken Loach
    Kes
    « Kick And Rush »
    Kitaj
    Kosinski
    Kurt Sanderling
    Le Bonheur Des Tristes
    Le Chantier
    L’Échelle De Jacob
    Le Crime était Presque Parfait
    L'Enfant Et La Rivière
    Léon Bloy
    Léon Golub
    Lieberman
    Lindström
    L’Oiseau Bariolé
    Londres
    Louis Calaferte
    Luc Dietrich
    Ludwig Meidner
    Malaparte
    Mandelbaum
    Manifeste Pour Une Maison Abandonnée
    Marcel Moreau
    Matta
    Max Beckmann
    Michael Biehn
    Nécropolis
    Nerval
    Nicolas Alquin
    Octave Mirbeau
    Picasso
    Pollock
    Red Or Dead
    Requiem Des Innocents
    Roberto Matta
    Roger Gilbert-Lecomte
    Ron Kitaj
    Ryszard Kapuściński
    Schönebeck
    Shostakovich
    Stockhausen
    Sugar Ray Leonard
    Sylvie
    Terminator
    The 15th
    Un Balcon En Forêt
    Un Siècle D'écrivains
    Villiers De L’Isle-Adam
    Voyage Au Bout De La Nuit
    Wire
    Zumeta

Proudly powered by Weebly
  • Accueil
  • À PROPOS
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Météores
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales