Nicolas Rozier
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Max Beckmann

3/12/2022

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Au cours des années 40, la peinture de Beckmann se radicalise et trouve sa manière d’élection. L’Allemand ne cessera plus, jusqu’à sa mort, de peindre au noir de contour. Au trait riche, épais et raide, d’un effet d’armature, d’une trame emportée, d’un franc quadrillage parent du vitrail. Un cerne, un feston que l’on dirait peint, mieux qu’à l’huile ou au plomb, au beurre noir. Un trait dominant, qu’il se montre ou se fonde au gré de ses gammes. Bien qu’abrupte, son opacité s’effile en un prompt dégradé, posé comme un noir de gala, d’apparat ou de catafalque. Artificieux et onctueux, ce noir luit et poisse comme une pâte à recourber les cils. Mais à la différence d’un trait qui enferme ou clôture, une délivrance habite ces franges mêlées d’élan primitif, de xylogravure et de modelage.
Après les années de visions modelées obéissant à quelques vieilles lois du clair-obscur, Beckmann aura donc fait la peinture malfamée qui le hantait. À commencer, donc, par ces formes trempées aux arêtes, maculées en longueur par un noir pétroléen, un noir de gravure, sué ou dédoublé des formes, pourtour savant, subtilement crénelé, de la mise en relief et en contraste. Un scrupule d’exactitude, un secret de dessin aux prises avec la couleur se joue dans la largeur et l’épaisseur du cerne, à la fois tranchant et absorbé. Simultanément, tous les méandres du réseau noir sautent à l’œil, en bloc. Par ce geste maniaque, ce soin de dessinateur arachnéen travaillant au suc et à la sève, Beckmann invente le corset sacramentel des formes, leur parure d’incrustation dans la couleur, l’accentuation mystérieuse et sensuelle d’un nimbe serré, d’une panoplie au noir. La qualité noire du trait, les errements symboliques de la couleur noire n’y jouent d’ailleurs pas l’étendard sombre mais la maestria d’un GOÛT FONCÉ qui est le sacre du dessin, l’éternel retour du contraste.
Dans un indécidable entre-deux du modelé et de l’à-plat, les lignes entrecroisées forment un puzzle de plaques allumées au choc des contours. Des triptyques luminescents, entre miroitements, harangues pigmentaires et éclats de magnésium. Une fraternité rude opère entre, d’une part, les verts d’eau, les ocres jaunes ou autres parcelles safranées, et, d’autre part, le crénelage au noir. L’impact physique précède le regard en face. Les retables de Beckmann se jettent à l’incandescence avant la lecture des formes. Burinée à la couleur et au noir, l’émeute figée agit de loin. La bigarrure y honore la couleur attisée à l’on ne sait quel creuset. Un rêve de coulisse à mains nues, avec ses nains, ses acrobates, ses danseuses, ses machinos, ses souffleurs, ses mécènes abusifs, ses intrus sans nom, ses dandys, ses élégants incognito, ses espions, ses automates mi-hommes mi-revenants, ses intendants pâles, ses cabaretiers cireux qu’une suée mauve enduit, eux les démoulés des sarcophages du music-hall. Dans un assemblage hétéroclite et mouvementé se dresse un lieu de parade à moitié grenier, à moitié estrade, sous un jeu d’ombres croisées et de lueurs hétéroclites, éclats de vitraux et halos de soupirail. Car dès 1938, la peinture de Max Beckmann passe également à la couleur impatiente, à la rugissante, celle qu’on ne voit jamais sinon à la sortie des tubes gorgés des plus fins pigments. De l’émeraude et du cobalt dont nul paysage terrestre n’illustre la féérie immédiate, des couleurs si pressantes et saturées que leur nom nous échappe, qu’elles renvoient tous les noms qui oseraient les nommer. Ici, la couleur posée, telle qu’elle paraît à clairevoie des fonds de scène, resplendit, luminescente et d’autant plus proche qu’elle se pavane, hors de portée, jalouse de ses pouvoirs sans prise, isolée et seule à la crête de son intensité, là où deux semaines plus tard, 10 ans après, un siècle plus loin, elle n’aura pas déchu de son siège flambant.
La longue période pseudo-naturaliste du peintre a pris fin. La part dégénérée de Beckmann, selon le régime hitlérien, va dégénérer de plus belle. Le coup d’envoi est donné dans l’œuvre du peintre pour un dessin plus marqué et le champ libre à la propriété hâve ou surchauffée des couleurs. La figure concourt à cette accentuation générale et en subit le mouvement. Semi-perspectifs et semi-aplatis, les héros de Beckmann prennent une vitalité de bas-reliefs. Piliers mobiles des panneaux, panneaux eux-mêmes, les personnages s’y dressent, ébouriffés, atteints d’un brouillage hirsute, d’une raideur taxidermique, dévouée à la structure hérissée des compositions. Figures empaillées, modèles maladifs et bustes en plâtre échangent ou cumulent leurs qualités. Mais les moyens de la peinture, rués en avant, déclenchent avant tout une gerbe oculaire. D’abord l’œil s’embroche et la vue se repaît. Le peintre s’arrange, dans un assemblage d’apparence précipitée, pour grouper ses préférences de couleurs et de formes, pour en barder ses tableaux. Avant d’y voir clair dans les bric-à-brac de Beckmann, l’on écope son désir, l’une des cartouches peintes de son désir assouvi. Pour autant l’effusion et son placardage incisif n’engloutissent pas dans leur feu la part de sujet, d’atmosphère, de narration. On croirait même, dans le prolongement basculé aux peintures de sa tête bourrue et rétive, que Beckmann se multiplie dans sa faune. Le mauvais rêve de Weimar, par la main de Beckmann, équarrit des fétiches, des dignitaires virés à l’épouvantail, engoncés, pressés comme des fusées dans une soute où le feu serait mis aux poudres. Aux fonds bleus des triptyques, d’un cobalt sourd et sans correspondance, gronde l’heure d’un crépuscule inconnu. Dans ce coupe-gorge, l’éclairage détraqué prend les atours d’une heure décisive, sans lune ni autre zénith. La peinture à l’huile, brillante et véhémente, donne à toute chose un lustre de nuit mondaine ouverte sur un massacre en sous-sol. Un des artifices rusés et patients du peintre, l’une des fibres furtives de son style, repose sur le léger tremblé des contours. Le peintre y met en scène, pareil à un léger décollement holographique, le circuit de lignes repassées à la pointe du pinceau. À même le dessin très sûr et exhibé, l’huile discrètement bavée sur les rouges, les bleus et les jaunes, leur donne une finition provocante. Beckmann prend le meilleur de son dessin à l’esprit bariolé des caves et des greniers. La tombée louche des heures tardives enchante ses traits. L’artiste en soutire cette perturbation graphique qui ne modèle plus les têtes mais les chiffonne. Au croisement de l’homme et de l’animal, du travestissement et de la mythologie aztèque ou égyptienne, Beckmann mêle des créatures hybrides à ses cohortes noctambules, dans un milieu de sous-sol et de limbes où cohabitent les effigies les plus torves. Brouillant leurs traits dans un griffonnage métamorphique, Beckmann pousse certains de ses personnages au méconnaissable, à la défiguration, poussant en même temps le portrait à son dernier point d’indistinction et d’extravagance, et parvenant ainsi à quelques effets saisissant d’instantanés puisés aux limbes. Beckmann en a fini avec ses années de portraits ralentis par les lois tenaces du modelé. L’artiste s’offre les moyens de son impatience et entame une collection de têtes adaptées aux compositions. Beckmann trouve son plaisir à peindre des têtes conventionnellement peintes, ostensiblement factices, têtes hiératiques, presque naïves et géométriques, héritières des masques africains revus par le cubisme et le premier expressionnisme de Kirchner. Beckmann raidit ses personnages, se plaît à mettre des yeux, des bouches et des nez de dessin à ses personnages, et aussi des pieds grotesques, impayables, parce que cette raideur braque et élance les composants des tableaux. Les personnages-pantins rebiquent comme des mannequins en celluloïd, des poupées customisées, frottées de mauvais genre. Tout comme le peintre graisse ses contours, il fausse son dessin, pratique des gauchissements sournois, des tétanies très cintrées, des poses arquées, contorsionnistes. Le détraquement de ces rites, danse de l’apache ou carnaval, vient peut-être de leurs vibrations mesurées, monte peut-être des grimaces à la brosse où recoins et détails flageolent à nos yeux, presque à notre insu. Des raccourcis énergiques, des finitions expéditives concourent aux chaos enlevés du Beckmann dernière manière. En point d’orgue de cette dernière période, le peintre décline des tropiques de peintre, des tropiques de palette ; tropiques de costumes et de décors fondés sur des harmoniques bleues, vertes et or ; luxuriance de malles et de palmiers, dentures de feuilles, végétaux crénelés, aventures violentes aperçues entre deux huttes depuis le pont d’un navire, les sauvages invités à bord. Quelle aubaine de contrastes que ces apparats de plumes jaunes, rouges et roses tranchant sur le noir des smokings. Avant et après la chute affûte ses griffes primitives. Aztèques, océaniennes d’accent, les cérémonies de Beckmann n’en gardent pas moins la pompe européenne du déguisement, l’agressivité des simagrées ou de la pantomime. Beckmann-le-tardif ne s’en tient plus aux portraits collectifs extravagants, il retord le plomb, en quelque sorte, de sa collection d’épouvantails, pour mieux les lover et les intégrer dans un décor toujours plus unitaire, presque idéogrammatique, percé de trous noirs et de taches à fournaises. D’acrobates et saltimbanques qu’ils furent un temps, les héros de Beckmann virent au cylindre griffu. Les corps jaillissent en pétards, en bouquets de fusées, en baudruches modelées dans l’éclat. L’anatomie humaine fait allégeance aux nécessités picturales. Les membres deviennent des piques du décor, personnages et accessoires s’aiguisent, tessons d’une même brisure ou facettes d’un même prisme. Les sacrifices latents, dans les œuvres anciennes, déploient leur drame élémentaire dans les triptyques. L’ensauvagement lacère l’image d’un rut général. Le tableau approche la sphère turbulente où l’œil reçoit une volée de couleurs indissociable des corps suggestifs. Volontairement ou non, Beckmann tire un pont trop loin, mord sur les terres encore vierges ou presque pionnières d’une foule abstraite telle qu’elle montera, germinative, quelques années plus tard, dans les œuvres de Gorky, Matta et de Kooning, ou même chez le premier Pollock. Cette force d’attraction avant-coureuse ouvre un champ d’envoûtement maximal qui va du tableau regardé à distance à la scrutation des détails.
La marque noire de ses tableaux n’est pas venue d’un ajout subit, mais d’une longue gestation. L’envoûtement du peintre pour les contours accusés a pris la tournure d’une tache agrandie, d’un présage qui peu à peu a frangé les décors et tout ce dont le peintre les truffait. Beckmann voulait lui-même s’y laisser prendre, se lever dans la nuit et voir rutiler en reflets, en profondeur, toute la caisse profonde du tableau. Par ce labour au noir, obsédant, Beckmann lève une qualité royale dans l’image peinte, un privilège de l’excès que l’artiste se décerna à la longue, en des scènes toujours proches d’un couronnement barbare.

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