Nicolas Rozier
  • Accueil
  • Bio / Expositions
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales

Londres, Céline

9/7/2023

0 Commentaires

 
Image
Londres est un mutant. Gallimard se pourlèche, Gibert en est plein. Des colonnes de cinquante, partout, sur les rebords, les corniches, le long des rampes, en vitrines, en pergola au pied des escalators. Pas dans les rayons avec les autres, – chacun à sa place, deux neufs et trois défraîchis  –, mais entassés, bien visibles, avec les gadgets du sol au plafond et jusqu’à la caisse. Plus nombreux qu’un calendrier de l’avent fin novembre, c’est un stock sans promo ni banderole. Du clandestin industriel. Londres, Céline, Gallimard, il suffit d’imprimer. Les jeunes, les vieux, les vieilles, tout le monde a le sien, un bout de scandale, une suite de légende. 20 euros l’exemplaire. J’ai pris le mien.
Le début en trombes s’emmêle dans l’argot. Sans prévenir ni poser les pions, Céline avance au hachis. Le récit démarre dans l’abstrait, la roulade, un fouillis de rues et de tripots, tant il caracole. Dans l’interlope, dans l’impatience des bas-fonds, à un millimètre des nerfs auscultés à l’heure des pires avanies. A la lecture du chaudron, en plein chaos, j’ai cru à l’erreur, à la défaillance. Nenni. En quelque sorte, la parole à souffle coupé peu à peu s’articule. Non que l’aube refroidisse les outrances, elle les distingue. C’est du bord de Tamise à la sortie des tavernes. Londres pourrait être Anvers, Hambourg, Macao, une ville de docks, au ras du pavé, des plus luisants et de toutes les substances. Un souvenir de L’île au trésor flotte sur les pages du début, comme bouillies à l’alcool. Myopes, saccadées, coupées d’angles morts. On ne voit pas les visages, rien ne les décrit, tout les burine. Les épaves et les brutes roulent ensemble, se battent ivres morts parmi les filles, toutes légères et tarifées. La grande guerre et son XXème siècle à la bombe, outre-manche, font trembler toute la clique, mais les événements, malgré la peur d’être pris, renvoyés au front, rugissent à froid, très loin, dans une autre dimension, séparés d’une Angleterre flibustière à la « Long John ». Le lecteur n’a pas encore trouvé son aplomb qu’il sait déjà, s’il s’y retrouve, que Céline ne manquera aucun bouge, aucun soupirail, que la ville de guerre, la défensive Londres, dernier bastion coupé de la guerre ouverte, repaire des éclopés, des déserteurs, va rendre son suc jusqu’à essorage. Le tapin, dans ce contexte de survie clandestine, n’a plus le temps d’être glauque, c’est presque un mérite. Les femmes, loin de virer pathétiques et clouées au destin, paraissent des sœurs, des méritantes, infirmières spéciales dont les exploits entre embarcadère et latrines, sous les ponts ou ailleurs, s’approchent, pour le style et l’aura, d’une mission obscure. Les raclées distribuées, elles-mêmes, sonnent plus guignoles que dramatiques. Les claques, les coups de pied au derrière ornent une basse continue de tendresse, scandent un burlesque de farce. Les filles semblent inépuisables et ne souffrent qu’à la rigolade, rieuses jusqu’au sang, telles des figures de sérails, à l’arrière-plan des tableaux. Ferdinand est maquereau, un peu au hasard, par la force des choses. Il fallait l’inventer ce prisme parfait. Voilà la rudesse humaine en son plus simple appareil. La ville n’habille qu’à peine ce déluge pulsionnel. Elle l’envenime de toutes les promiscuités. Céline débarrasse les trafics relationnels des phases transitoires, dans un vertige de round entre une droite et un uppercut. Les protagonistes ont la face en parechoc, ils débarquent du froid, de l’Est, et de la boue. Eux-mêmes colosses boueux, sortes de molosses pires que des vagabonds, sont des monuments de la rue au croisement de Goya, Rabelais et Dickens, (façon Borokrom et Moncul). Dès leur entrée en scène, l’impression de monstre en liberté, de record en brutalités à babines secouent les pages d’une grosse semonce. Céline se prend de vitesse. Sa vigueur l’éperonne, il raconte tout à la fois. Entre le Voyage et Mort à crédit, on le croirait affamé, et, excusez du peu, en manque de récit. Dix romans se piétinent sur la ligne de départ. Le début, j’y insiste, conditionne l’embardée générale. Emporté par la bousculade, le lecteur se repère mal dans les trente premières pages comme prises dans un goulot d’étranglement, une rixe de lieux, de visages et de sensations. Il ne sait pas où il est, avec qui, et de quoi il retourne exactement. Angèle, la prostituée embarquée outre-manche par le major Purcell, reste aux mains du narrateur, propulsé maquereau et lié à toute une faune franco-étrangère exilée à Londres. Le roman se cale dans l’entre deux fièvres des vacances et de la cavale. Le tout enflammé aux vaches maigres, aux nuits rances et drôles. La tonalité régnante, c’est l’irrésistible attrapé au vol du délire. Sans passé ni lendemain, les héros jaillissent d’une penderie à personnages secondaires, des prototypes mal taillés, sortis des réserves et des oubliettes avec leur costume de foire. Ils jurent tellement qu’ils en deviennent réalistes. On dirait que Céline a jeté de l’appât, du corsé bien au fond des ténèbres, des impasses et des sentines, et que les solitaires hideux, du modèle semi damné, ont mordu. Ils ne seraient que lâches et immondes, mais Céline les travaille, en biseaute les blocs, et trouve des angles inédits, des aperçus moins sombres de leur cœur de bœuf. Ici commence le numéro de bestialité camarade. Il y a Leicester, le quartier et le siège de la clique. Un pandémonium sans faute, le quartier général du romanesque, son réservoir, ses étages et ses chambres. Difficile de se faire une idée précise de l’état d’esprit des personnages. Aux abois et voués aux nécessités physiologiques, d’ailleurs assouvies dans un même mouvement qui englobe la peur, la sexualité débraillée et les manies les plus tordues, les personnages engagés sur la scène de Céline paraissent privés du sommeil où, éventuellement, ils pourraient réparer leur mécanique détraquée. Le risque du peloton, de la police, de la cour martiale, alimente une atmosphère de colo. Je pense au séjour de Borokrom et Ferdinand chez Yugenbitz le médecin, où la planque et la cohabitation dans une espèce de cagibi livrent à la mitraille de saynètes un arrière-plan potache des mobiles humains les plus inexorables. Rien que la crainte que le géant Borokrom ne saute sur la femme du médecin pendant que le narrateur l’accompagne dans sa tournée vaut la lecture. Le fond de marasme causé par l’urgence de se cacher et de s’en sortir, constamment rehaussé par le roulis du bizarre des autres, nourrit le cadencier célinien. Les personnages sont là, sur la place, comme des anciens, mais les autres, ceux qui arrivent de leur débandade ont le cachet lascar et olibrius. Nous les voyons venir. Cantaloup, le souteneur marseillais, est le pivot de la communauté. Autour de lui s’agrège la faune du roman. Comment se sont-ils rencontrés, Céline doit l’indiquer dans un courant d’air, mais on l’imagine sans vraiment le savoir. Le rythme emporte tout, surtout les préambules. L’état de traque permanente maintient les personnages sous tension, parias et profiteurs. Ils vivent ensemble, dans une sorte d’immeuble des miracles, non loin de la Tamise et des docks. Cantaloup au centre, en maquereau vieille manière, et les déserteurs tout autour, des vétérans exilés, des échappés, des fugitifs de cargo. Des rescapés et des planqués, de vrais vétérans, même des médaillés comme Ferdinand, des officieux, des officiels, tous clandestins, blessés mal remis, permissionnaires sans retour, monstres de contrebandes dont Céline a poussé à fond le côté mastoc rabelaisien en même temps que la stature d’ogres des faubourgs, dockers-nés. Borokrom et Moncul en tête. Pour les patronymes, Céline plafonne, aucun ne sature pas au délire. Et quand le major, l’Anglais excentrique, ne s’appelle que Purcell, il faut voir le numéro, ses copulations distraites avec Angèle, ses saillies neurasthéniques sous les yeux de Ferdinand, puis sa lubie des masques à gaz, en laquelle je vois, par l’excès illimité, le coup d’essai des patates poussées à l’électrique de Courtial des Pereires, l’inventeur dans Mort à crédit. L’autre Anglais, le très smart aristocrate au grand cœur, déjanté notoire imbibé au tonneau, disparaît en prison, sans procès ni jugement après des hauts faits de camaraderie où l’alcool inaugure un troisième état de la matière : ni morte ni vive, mais saoule. Céline tire le meilleur de l’aventure, de la narration palpitante, du gros plan suraigu sur les catastrophes triviales de la vie à la rue et des profondeurs de la dèche. Il invente le cauchemar réaliste et chaleureux. La débandade épique et ses figures hypnotiques. Céline, – ici pointe son secret exhibé partout dans ses prouesses –, enrobe d’un amorti songeur l’avalanche des outrances. Pas une once de penchant compassé, quand Ferdinand accuse le coup, mais une espèce de crève-cœur qui emprunte le même véhicule élancé, et pour tout dire le même fuselage de bourrade. Outre cet esprit d’accolade au milieu des pétards et des bombes, il y a le goût naissant du narrateur pour la médecine, pour l’exception des danseuses, ou encore le sentiment de fraternité dont les secondes inexprimables passent, au milieu des séquences, comme d’assourdissants ravalements de glotte. Les recoins, les adresses, le nom des rues animent le violent puzzle du roman. Pour être mieux suggestif, Céline ne décrit jamais vraiment les putains, leur tenue précise. Elles racolent à manteau unique, fardées expresses, dans un mixte fané et endurant. L’expression boudinée et enflée des anciennes donne la réplique à l’ingénuité des plus jeunes. Elles rappellent les beautés de Van Dongen, sans la moue mystérieuse. La prostitution de guerre elle aussi a ses raids. Si foudroyants que les clients paraissent engloutis en fond des ruelles plutôt qu’assouvis à l’horizontal. Les filles absorbent les marins et les ogres dans un fond de rue dont elles gardent le seuil. Les passes entourent l’intrigue d’un continuum de coins louches, d’enclaves sinistres. Des trous d’ombre à viols et à crimes dont Céline, en n’y portant jamais la lumière, tire le meilleur. Deux notations et le frisson est lâché. 


0 Commentaires

Votre commentaire sera affiché après son approbation.


Laisser un réponse.

    Catégories

    Tous
    1981
    5e Symphonie
    Adrian Lyne
    Albert Londres
    Alberto Giacometti
    Alejo Carpentier
    Alquin
    Anaconda
    Auerbach
    Barbé
    Barbé/Prevel
    Barbey D'Aurevilly
    Baselitz
    Beckmann
    Berni Wrightson
    Bloy
    Brisseau
    Bukowski
    Buzzcocks
    Canet-Plage
    Capitaine Conan
    Carlos Onetti
    Carpentier
    Cărtărescu
    Carver
    Cathedral
    Céline
    Charles Bukowski
    Contes De La Folie
    Dans Le Ciel
    David Peace
    De Bruit Et De Fureur
    Décor De Jeunesse.
    De L'amour Et De La Mort
    Demme
    Depestre
    Ebène
    Ecole De Londres
    Egon Schiele
    Eté Indien
    Expressionnisme Allemand
    First Blood
    Georg Baselitz
    Giacometti
    Giger
    Gilbert-Lecomte
    Grossman
    Gustav Mahler
    Hadriana Dans Tous Mes Rêves
    Henri Bosco
    Herbert Lieberman
    Hitchcock
    Horacio Quiroga
    H.R. Giger
    Hubert Selby Jr
    Jackson Pollock
    Jerzy Kosinski
    Joan Eardley
    Jonathan Demme
    Julien Gracq
    Kaputt
    Ken Loach
    Kes
    « Kick And Rush »
    Kitaj
    Kosinski
    Kurt Sanderling
    La Danse Sacrale
    La Geôle
    Le Bonheur Des Tristes
    Le Chantier
    L’Échelle De Jacob
    Le Crime était Presque Parfait
    L'Enfant Et La Rivière
    Léon Bloy
    Léon Golub
    Le Partatge Des Eaux
    Le Saule
    Le Silence Des Agneaux
    Le Vampire De Düsseldorf
    Lieberman
    L'Île Magique
    Lindström
    L’Oiseau Bariolé
    Londres
    Los Pasos Perdidos
    Louis Calaferte
    Luc Dietrich
    Ludwig Meidner
    Malaparte
    Mandelbaum
    Manifeste Pour Une Maison Abandonnée
    Marc Barbé / Jacques Prevel
    Marcel Moreau
    Marcel Schneider/Philippe Brunet
    Matta
    Max Beckmann
    Michael Biehn
    Mircea Cărtărescu
    Nabokov
    Nécropolis
    Nerval
    Nicolas Alquin
    Octave Mirbeau
    Picasso
    Pnine
    Pollock
    Prevel
    Quincey
    Quiroga
    Raymond Carver
    Red Or Dead
    René Depestre
    Requiem Des Innocents
    Roberto Matta
    Roger Gilbert-Lecomte
    Roger Vercel
    Roger Vercel – Eté Indien / Capitaine Conan
    Ron Kitaj
    Ryszard Kapuściński
    Schneider
    Schönebeck
    Seabrook
    Selby Jr
    Shostakovich
    Siouville
    Solénoïde
    Souvenirs D’un Pas Grand-chose
    Stockhausen
    Sugar Ray Leonard
    Sylvie
    Terminator
    The 15th
    Thomas De Quincey
    Un Balcon En Forêt
    Un Siècle D'écrivains
    Vassili Grossman
    Vercel
    Vie Et Destin
    Villiers De L’Isle-Adam
    Voyage Au Bout De La Nuit
    William Seabrook
    Wire
    Zumeta

Proudly powered by Weebly
  • Accueil
  • Bio / Expositions
  • Publications
  • Peintures
  • Pastels
  • Encres
  • Un garçon impressionnable
  • Articles de NR
  • Actualités & Presse
  • Contact
  • Mentions légales