Nicolas Rozier
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L’Oiseau bariolé, Jerzy Kosinski

7/6/2022

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L’Oiseau bariolé de Jerzy Kosinski, remplit toutes les conditions d’une curiosité littéraire. Le roman raconte le calvaire picaresque d’un jeune garçon, qui, dès lors que ses parents, juifs persécutés, le confient à un étranger de passage au début de la guerre, va de mésaventures en supplices, et ne doit sa survie qu’à la fantaisie narrative de l’auteur. Car Jerzy Kosinski donnera son récit comme inspiré de faits réels, avec un culot d’escamoteur que finalement la critique lui reprochera davantage que le travestissement des faits. Pour ma part, non seulement je me soucie peu du point de départ, factice ou arrangé, mais j’admire le remue-ménage stratégique mené par l’auteur, sorte de mondain insaisissable, Professeur à Yale, Président du Pen Club, qui a amplement servi la fortune de son livre.
L’argument à lui seul rejoint la simplicité des grands mythes, y compris et peut-être surtout grâce à la chute dans le temps résultant des contrées perdues sillonnées par l’enfant. L’époque se dérobe dans l’épaisseur de la glèbe. Ironie grandiose de principe, la Seconde Guerre Mondiale, dans la supposée Pologne profonde, y devient une querelle civilisée à côté des péripéties immondes dont L’Oiseau bariolé forme l’album. L’expression « sans pitié » y trouve sa plus longue et éloquente image. Car nous voici dans la boue, à l’heure du dégel, sur des terres reculées où l’atavisme, l’idiotie et la brutalité datent, non du Haut Moyen-âge, mais des heures sombres du Néandertal. Les patates n'y poussent qu’au hasard, en bouquets germés entre deux flaques. Les hameaux et les masures, tout au plus des tanières enflées, des grottes à toiture, des huttes, des tas de pierres où fume un trou sans cheminée, dessinent des solitudes hargneuses où Perrault et Grimm ont dû prendre certains effrois topographiques de leurs contes. Dans la jeunesse des conteurs, un va-nu-pieds sorti des bois, en hardes, un soir de village, un gueux surgi des brumes a dû faire étape et marmonner des légendes, des lambeaux d’histoire prélevés à vif sur la charogne perpétuellement vivace des vies grouillant à l’abri des regards, ce mélange de choses vues et de contes érodés par la tradition orale. Cette inspiration probable des deux célèbres conteurs, semble jaillir dans son état originaire dans le roman de Kosinski. Car si la part de faits vécus, dans L’Oiseau bariolé, est sans doute faible, marginale et outrée par l’imaginaire, il n’empêche que l’auteur propose, mieux qu’un sommaire et un récit chapitré, un train fantôme aux alcôves, niches et tournants dont l’origine n’est sans doute pas fantaisiste. Le témoignage des anciens à cet égard a dû se révéler précieux, histoires de grands-mères dont Kosinski a dû aggraver le folklore et les anecdotes les plus rustiques. Car plus que l’oiseau, c’est la campagne profonde et ses enclaves arriérées qui sont bariolées à l’extrême. L’excès des situations et le renchérissement de leur caractère insolite à chaque détour de chapitre l’emportent assez vite sur la compassion éprouvée à l’égard du héros. L’horreur fantasque des antres et des ogres inédits que nous donne à lire Kosinski prend le premier rôle. Aussi parce que le garçonnet, violenté à l’extrême et toujours sur le point de rupture, résiste à tout, surmonte le pire, comme une sorte de ludion adapté aux épreuves. Le jeune bohémien, pâture à sévices, victime d’élection, devient le guide d’une attraction terrible, sur un fond d’histoire presque dissoute. L’Oiseau bariolé se présente ainsi comme un tour, un circuit dont les tréfonds hostiles correspondent à des tentatives de records glauques. Kosinski ne s’enflamme pas dans le style, préférant, pour atteindre l’acmé dramatique, une manière de propos consignés. Une tonalité facilitée par l’atmosphère de stupeur presque sans trêve causée par la rencontre des lieux inconnus et de leurs occupants. Une partie de l’opinion, en Pologne, jettera l’opprobre sur le roman, son auteur et sa famille. Le portait de la paysannerie polonaise, jugé infamant par celles et ceux qui se sentirent visés, est pourtant l’une des réussites indiscutables du livre. Que l’auteur fasse allusion à des trous perdus à l’Est de la Pologne ou à d’autres endroits reculés, ne stigmatise pas une peuplade plutôt qu’une autre. L’Oiseau bariolé épingle une mauvaiseté incurable, une brutalité abrutie, universelle, que l’on reconnaît à travers son mode aveugle et acharné. Mais là où la dénonciation aurait pu tourner court, le grand-guignol atomise les considérations trop crispées et les vanités solennelles d’un message universel. A la lecture des affres, le double mouvement de répulsion, face aux crimes, et de jubilation face au merveilleux poudroyant qui les encadre, plonge le lecteur dans les délices d’un théâtre d’ombre et les peurs archaïques de l’enfance. Les tortures et les offenses, comme en certaines pages sadiennes, prennent l’inconsistance rêveuse d’un carnaval qui ne finirait plus, tandis que l’hiver pénétrant paraît celui, irrationnel, d’un pays hivernal à saison unique. Chaque nouveau gîte, autant dire chaque nouveau piège pour l’enfant livré à lui-même, représente une tentative de paroxysme pour l’auteur. Une part de burlesque naît de cette enchère automatique où le tragique est teinté de guignol. Au seuil de l’histoire, le lecteur tremble de découvrir la forme de l’ennemi, le visage des monstres. Il les présume hauts en couleur, hors de l’humanité, golems des sudètes, vouivres de l’Est sordide. Or, nulle créature des marais ne vient soulager cette attente et les personnages de mésaventures sont bien pires que les monstres attendus. Kosinski pousse au dernier degré le sens de l’adjectif « fruste », soudain déclassé et inepte au pied des dragons fourbes et bipèdes auxquels l’enfant se confronte. L’imaginaire conflue à la tête de l’horreur, au reportage de la cambrousse assassine, de la ruralité glauque et sa sorcellerie crasseuse. Un bizutage à morts multiples attend le héros-garçonnet, littéralement, purement et simplement puni d’être né. A partir des mauvais traitements consécutifs aux premiers placements, les évènements vont monter en gamme. Les arrières tabous, les plus sauvages incestes, tel un arrière-plan routinier de ragondins forniquant sur un îlot fangeux, juché sur une balancelle de mousse et de branches, donnent lieu à maints levers de rideau sur un festival enragé d’obscénités. Le viol se réinvente dans des replis de cauchemars insatiables où le héros non plus que le lecteur ne peut reprendre son souffle. Le fond présumé de l’horreur donne une suite toujours plus basse dans la sentine des cerveaux torpides de reîtres au profil de varans, repris par des vices tenaces et difformes.
Je ne garde pas le souvenir d’une lecture emportée mais l’appréhension de tirer le prochain rideau. Dans l’outrance des faits, Kosinski atteint une monotonie de l’abject digne du grouillement au fond des ratières. L’oiseau bariolé, par sa sobriété de style contrastant avec les faits relatés, entraîne dans un faux rythme où l’horreur entassée finit par créer une impression mixte où l’excitation fatiguée le dispute à l’écœurement. La règle d’écrasement où tout ce qui vit doit être trucidé aboutit, au fil de la lecture, à une sorte d’engourdissement, de diminution sensorielle. Kosinski n’a sans doute pas choisi ces effets secondaires, mais sa narration en retrait développe une image de l’homme presque fascinante. La condition humaine se transforme en variante de la rage ; une rage endurante car parcourue de phases lucides aggravant la voracité cruelle. Pas un homme qui ne soit un ogre, pas une femme qui ne soit ogresse ou sorcière, en une suite ininterrompue de monstres agraires.
L’oiseau bariolé attire également par une promesse d’objet d’art. La coutume qui inspire le titre, en elle-même, forme un terrible poème. Selon Kosinski, les villageois d’Europe centrale, pour se divertir, capturaient un oiseau, le bariolaient de couleurs, et le relâchaient ensuite, sûrs de le voir attaqué et mis en pièce par ses congénères qui voyaient en lui un intrus. Ainsi Kosinski voulut-il saisir la résonance universelle de la coutume, celle du rejet, de l’ostracisme, de la « différence » persécutée, et placer son récit sous l’égide de cette cruauté. Cette coutume suscite toutefois une autre image, récalcitrante en dépit du compte rendu abominable dont elle figure l’enseigne. Celle d’une pratique différente de celle rapportée par l’auteur. Après tout, rien ne dit que Kosinski ne s’est pas trompé à cet égard. Lui-même, est-il allé voir sur place ? J’aime à penser, pour ma part, que dans un esprit proche des fauconniers, il se trouvait, à l’Est de la Pologne, des garçons, des fillettes, peut-être même un seul, une seule, dont la passion pour les oiseaux avait passé les rivières, les hameaux, et avait formé une légende. L’oiseau, peut-être domestiqué comme dans le merveilleux Kes de Ken Loach, les ailes délicatement teintes par son oiseleur, aurait été lâché, les jours de fête, non pour être une proie décimée dans les airs, mais pour les attirer, les mener, en chef d’escadrille, dans un fantastique tourbillon d’ailes. L’autre poème visuel en surimpression des atrocités, vient d’un objet magnifique qui aurait pu faire un roman. Du moins fait-il un tableau, et l’un des plus lancinants du récit. Il s’agit de la « comète » du jeune garçon. Son outil de survie et son arme de défense. Une comète, apprend-on dans L’oiseau bariolé, est une boîte de conserve recyclée en réchaud portatif. A l’extrémité d’un bâton, la boîte percée où les braises pétillent à clairevoie, ressemble à une lanterne magique. Virevoltant ainsi comme un satellite du garçonnet, la comète lui donne l’allure d’un frère du « semeur » peint par Van Gogh, le même genre de figurine clopinant dans les paysages comme leur emblème miniature.
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