Nicolas Rozier
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Les Plâtres peints d’Alberto Giacometti

6/20/2022

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Nu debout sur socle cubique. Plâtre peint, 1953.
En 2007, le Centre Pompidou présentait, au sens propre, l’atelier de Giacometti, l’antre fameux de la rue Hippolyte Maindron. Mis en kit, les murs démontés, sciés à ras bord et présentés dans leur nudité pariétale, plus sombres et griffés qu’un cuir de brontosaure, exhibaient leur épais palimpseste. La prouesse interrogeait sur les moyens mis en œuvre pour pratiquer une telle ablation mais l’étrangeté spectaculaire de la manœuvre, tout en accaparant l’attention, ne fut peut-être pas l’apogée de cette exposition. Car à côté de cette fresque en puzzle, placées en contrepoint des parois bistres, se dressaient les sculptures blanches de l’Italien, ses plâtres rehaussés de traits rouges. Baselitz autant que Lupertz ont dû bien s’en souvenir ; le premier, entre autres, pour son homme à demi incliné, au bras levé, et son allure de statuette d’oscar, bariolé d’ornements ainsi qu’une amphore grecque ; le second pour ses divas à têtes outremer, outrancières et païennes. Dans les deux cas, les plâtres peints de Giacometti avaient ouvert une voie.
Matière de réputation pauvre, le plâtre pratique l’éblouissement au long cours. Préposé aux maquettes, à l’ombre des fonderies et du bronze tout-puissant, le plâtre sculpté que j’avais vu au Musée Rodin, dans les modèles réduits des Bourgeois de Calais par exemple, ou encore celui monté sur socles pivotants dans le Camille Claudel de Nuyten, m’a toujours paru une matière affolante. Pour creuser son plâtre et garder sa blancheur, en accuser les saillies, en brandir les contrastes, le sculpteur joue serré, il pourchasse à la gouge un espoir lesté de cette contradiction insoluble : une blancheur claire-obscure. Son travail ressemble à une bataille d’ombres traîtres. Dans ce milieu de contraste empêché, le trait, l’intrusion mordante de la peinture tranchant sur le blanc, offre l’élément de brisure des jeux d’ombres pâles. Toute la justesse du dessin tremble dans cette superposition entrecroisée de quelques traces sans repentir possible. La ligne, crénelée par les aspérités du plâtre, y prend une valeur de marquage cérémoniel. Mais au prix de ce risque, la vibration récompense. Voici le trait et l’encoche mutuellement exaltés. Le « Nu debout sur socle cubique » de 1953, culmine à la tête des plâtres comme l’un des plus aboutis, l’un des plus éloquents d’Alberto Giacometti. J’y vois, dès la première vision, un secret résolu de l’art sculpté. Le XXème siècle bascule, il régresse hors du temps dans une antiquité reculée, indistincte, une préhistoire de l’Art totémique. Sinon que chez l’Italien, le dessin est élaboré à l’extrême, passé par la Renaissance, le surréalisme, le cubisme, et l’influence des arts premiers. Le primitivisme des traits, la tête réduite et oblongue, le figement tribal de la pose donnent le fuselage d’une énigme intense, tandis que l’éclat du plâtre rappelle le maquillage blanc de certaines tribus africaines, lorsqu’une pommade très blanche farde la peau noire. C’est alors le blanc, sous l’effet des rehauts peints, qui paraît posé sur le noir. Un instant, le temps d’un trouble optique, ce ne sont plus ces lignes couleur rouille qui font les taches, mais certains méplats crayeux. À un point d’équilibre où Giacometti sait les exaspérer mutuellement, le foncé et le clair, dans ses plâtres peints, échangent leur propriété clignotante. Dans mon souvenir de l’exposition, les coups de pinceau sur le plâtre surlignaient les ombres, les arêtes et les encoches, ils venaient en renfort de quelques aspérités choisies. En réalité, Giacometti utilise les traits peints comme un réseau second de coups de ciseaux. Ces derniers renforcent ou dédoublent la taille. Inscrits sur la blancheur plâtreuse, les traits ont la richesse incisive des sillons de la gravure à l’eau-forte ; ils bavent en tigrures, en bords sombres pareils aux berges d’une plaie. La peinture mord comme un acide, y compris les lignes brèves lissées à la pointe du pinceau. Isolé ou combiné, le trait y prend une qualité de rainure à l’acide et de cerne. Ainsi crantée, le fond blanc, la masse plâtreuse paraît elle-même, mieux qu’un bloc ouvragé, une somme griffue concurrente des traits sombres qui la scarifient. La sculpture y gagne un relief transperçant, un étoilement d’éclats figés où la sculpture semble s’ouvrir, visible à clairevoie, en profondeur, telle que perçue en coupe. Dès lors, chaque partie grenue du volume s’offre aux propensions tactiles de l’œil. Le regard y exerce son faisceau pétrisseur et visite à volonté un état figé/explosif. L’œil désarçonné prend un plaisir holographique à suivre les entailles profondes aux géométries de cristaux rompus. Cette matité élevée à la transparence, dont les deux foyers d’éclatement sont au visage et au plexus, inaugure une inédite mutilation de parade. Dans ce « Grand Nu », la déchiqueture de l’un des seins, par l’ornement des traits, exhibe le motif stratifié d’une orfèvrerie interne dont le sculpteur ouvre au ciseau la gemme impériale.
Au plan de l’acte créateur et de sa modernité, l’intrusion peinte sur des volumes en plâtre, instaure un état d’urgence ; le moment venu des états généraux d’un cri qui ne peut plus attendre, celui même de la matière. Le plâtre, à l’heure d’être peint, sonne une impatience libératrice. Le sculpteur approchant la blancheur du plâtre avec son pinceau ressemble à l’assassin d’un corps trop désiré, l’impatient des heures sombres viré forcené ; tout au moins peut-on déceler, dans ce geste d’artiste abordant la sculpture au pinceau, un geste contre-nature, d’officiant ou d’apprenti-sorcier sorti de ses gonds et sur le point d’un passage à l’acte. Je pressens le pinceau à la fois désireux et rétif, tenu du bout des doigts. Sorti de ces cadres habituels, bi-dimensionnels, l’instrument devient méconnaissable, il se transforme en accessoire interdit. La tache au pinceau revêt le caractère d’une opération transgressive et à haute tension. L’extrême complexité de la taille et du relief, je soupçonne le sculpteur de vouloir en provoquer l’enragement par le réseau simplifié des rehauts, comme si elles seules, par une autorité indue, devenaient capables d’ordonner la masse, d’achever le profil, et de nettifier la silhouette. Aussi le « Grand Nu » me paraît-il garder un effarement de corps lardé, le maquillage hautain préfigurateur de masques hautains, effrayants et infaisables. Giacometti, en criblant ses plâtres de scrupules, maintient un choc mutilatoire ambiant qui est le propre du geste artistique ourlé à son maximum, dans une révulsion émotionnelle et une gravité sans prise qu’Artaud appelait cruauté. Par ses finitions au canif, Giacometti finit d’électriser ses bustes en traçant leur matrice la plus fine. Dans cette méthode de la retouche récidivante et harcelante des bustes et des têtes, où tremblent en surimpression du plâtre une atmosphère mêlée de poterie et de masque, réside une grand modernité d’attaque. L’illusion du trait, sa qualité factice d’imitateur, le plâtre l’incorpore et l’amplifie à la fois. Un dessin naïf, à la Paul Klee, une gaucherie habile d’enfant s’intègre aux rides et saillies les plus fines, ou garde en zébrant des méplats des solitudes de tracé sur la page quand la ligne entamée ne sait pas où elle va. Par cet emploi déphasé du trait, Giacometti fait de ses plâtres des provocations, des harangues. Une fois dans le champ de vision, les sculptures ne cessent de rester à la crête vibratoire comme les entités brandies d’un extrême tridimensionnel. Par surcroît, leur solennité d’œuvre d’art, et ce, dans la plus noble acception de ce terme, se conjugue à une facture de projet d’atelier, à la fraîcheur saignante des œuvres qui « promettent ».
La couleur, sur les plâtres sculptés, évoque la peinture de guerre, les chevrons d’un visage beau et grave, cadré par le ciel, lançant une énigme de grandeur et de bataille. Je vois aussi dans ses maquillés de plâtres, les officiants intraitables d’un rite sensuel. Les bustes de plâtre, comme défalqués des laves pompéiennes, lointains parents, aussi, de momies pharaonnes, dessinent des présences d’une lignée indéterminée, murées dans les secrets modeleurs de la taille et du pinceau. Levées, non au gré d’une formule magique, dicible et prononçable, mais à la reprise harassante d’une absence de formule, à force d’improvisation harassée, au détour d’un ressaut entre deux fatigues sans nom. Au bénéfice d’un dernier geste, avant de quitter l’atelier nimbé d’une pénombre propice, Giacometti paraît le Vulcain plâtrier qu’il n’a jamais cessé d’être depuis la chambre-atelier, en Suisse, pendant la guerre. À l’époque, le sculpteur, en taillant des figurines à taille d’allumettes, s’entoura d’une garde d’honneur au long cours. Ces travaux sur plâtre, mieux qu’ouvragés, paraissent directement émanés du sculpteur, comme une ronde de sorciers réduits née de sa tignasse plâtreuse. Cette cohorte de la poussière, apparue plus que modelée, donnera le ton des plâtres à venir, plus volumineux mais tout aussi emprunts de cette vénérable stupeur dont Giacometti parvient à enchanter le plâtre. Cette matière fragile qui, encore fraîche, procède du modelage, puis, une fois sèche, de la taille, devient sous les mains de l’artiste un matériau intermédiaire entre le bronze et l’argile ; une sorte de pâte à modeler vivace dont la moindre plissure évoque l’immédiateté pétrisseuse de la main et de la paume, du jeu savant des doigts. Le plâtre de Giacometti, c’est la poussière d’atelier agrégée, la blancheur amoncelée des minutes dont l’artiste a tiré ses statuettes. Levés en corps et en murmures, les bustes de Giacometti ne sont pas, montés des immeubles bombardés, des grottes isiaques, des maisons pompéiennes, les spectres des catastrophes et des ruines, mais les héros du plâtre, les emblèmes à face d’effroi de la beauté même.
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