Nicolas Rozier
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Kick and Rush

1/12/2022

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La lecture de « Red or dead » de David Peace, me ramène des années en arrière. Non dans les années 60 évoquées par l’Anglais, la grande époque où le Liverpool FC, mené par Bill Shankly allait forger sa légende, ni même le début des années 70 dont, enfant à l’époque, je ne me souviens guère, mais au tout début des années 80. Les mots de Bill Shankly au journaliste Horace Yates, du Liverpool Daily Post, rapportés par David Peace : « Les portes d’Anfield, les portes de Melwood, sont grandes ouvertes. Grandes ouvertes, Horace. Il faut qu’ils viennent sans hésiter. Sans aucune timidité, Horace. Qu’ils viennent pour qu’on leur apprenne à pratiquer ce sport et à s’entraîner. Tous sans exception. Tous les gamins à cent cinquante kilomètres à la ronde qui ont un jour tapé dans un ballon. Ils sont tous les bienvenus. Tous les bienvenus, Horace. Et nous les observerons tous. Chaque gamin, chaque jeune qui montrera un certain potentiel, nous l’aiderons à développer celui-ci, Horace. Telle est ma promesse. De donner une chance à chaque gamin, à chaque jeune qui franchira nos portes. La chance, Horace. Parce que c’est à cela que je crois. Donner une chance aux gens, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, leur donner cette chance. Cette chance, Horace. Parce que si on ne leur donne pas cette chance, il n’y a aucun espoir qu’on puisse découvrir des talents. Et si un gamin, si un jeune a en lui une once de talent, nous ferons de notre mieux pour qu’il puisse l’exprimer. De notre mieux, Horace. Car c’est à cela que je crois Découvrir ce talent. Puis donner à ce talent une chance de s’épanouir. Le faire s’exprimer. Puis le développer. C’est pourquoi ils sont tous les bienvenus. Ils sont tous les bienvenus, Horace. » Ces mots de Bill Shankly, la fumée dantesque de bureau à néon, le sien, à Anfield, où il a dû les prononcer, me rappellent non un espoir mais une joie, une joie sans nom, toute sensitive, riche et gorgée, une exaltation immédiate, qui sent l’écorce d’orange et la cour de récréation. Des jambes qui courent, des bras en l’air, des gestes beaux et francs, en pleine vitesse, les têtes en profil perdu, essoufflées et à l’affût, les charges en criant, comme des vagues, les garçons qui se hèlent, la balle ou le ballon qui fuse, rebondit, accélère et aimante les regards, le but et les cris, cris de joie en l’air, vraiment purs, directement de l’asphalte au ciel, sans intermédiaire, dans l’oubli du temps et de toute pesanteur. Il faisait chaud, toujours beau et les nez rouges, et les oreilles rouges et les doigts bleus, eux aussi ils fumaient. Les manches étaient courtes l’été et l’hiver, on les retroussait. Car à chaque instant, à chaque détour de la journée, dans la rue ou à l’école, c’était l’heure de faire les équipes et le frisson d’un match à jouer. De sept à seize ans, entre 1978 et 1988, le football prit la place, la plus grande, avant les cours, avant la musique et le cinéma. Ce n’était pas un sport parmi les autres, c’était notre religion, notre luxe banalisé, l’enjeu qui chaque jour reprenait ses droits. Personne n’était footballeur, tout le monde jouait au foot. Le quartier lorsqu’il fut remis par parcelles, avec le petit jardin et le petit chez soi, fut servi avec un ballon. Le ballon, à cette époque, c’était l’emblème des quartiers. Tous les événements humains, entre copains, tout ce que nous voulions nous dire ou éprouvions les uns pour les autres, de la plus subtile amitié à l’animosité la plus brutale, se déliaient ou s’entrechoquaient dans les matches en une forme élevée, noble et physique. Le phrasé passait dans les jambes, dans le corps, de la tête au pied, en mouvement.
Parler football, aujourd’hui, ne répond plus aux réalités d’alors, celles de la fin des années 70 et des années 80. Celles de Platini et des bleus, de la nuit de Séville où les Français ont cédé, dans les prolongations, face à l’Allemagne, en demi-finale de la coupe du Monde. Epoque d’une ferveur blessée, ruinée aux centaines de défaites des clubs français en coupe d’Europe. À l’époque, je ne comprenais pas qu’il fallait acheter cher des joueurs pour se donner la chance « d’aller au bout », je m’obstinais à croire que la rage de vaincre, l’énorme poussée de ceux qui ont du cœur pouvait tout renverser. Mais il y eut des victoires, l’Euro 84, et la deuxième performance de l’équipe de France en demi-finale de la coupe du monde, surtout cette victoire embrumée d’irréalité, dans l’air vibrant, caniculaire du stade Aztèque, à Mexico, quand la France élimine le Brésil, aux pénalties. Il y eut aussi les magazines, les posters, les vignettes Panini, les dégaines de bagnards en short court tels qu’Oswaldo Piazza, Jean-François Larios, des olibrius talentueux comme le Portugais Chalana, des jeunes prodiges comme Norman Whiteside, des buteurs aériens comme Zico, des buteurs à sang froid comme Rummenigge, des têtes brûlées comme Ian Rush ou Paolo Rossi, l’escamoteur, je cite de mémoire, au hasard, dans une collection de géants.
Dire quoi que ce soit du ballon rond, aujourd’hui, hérisse à l’avance celles et ceux qui ne voient plus, dans ce sport, qu’un crétinisme de milliardaires à têtes de simplets, autour desquels, séparés par des grilles, des hordes aboient comme des chiens enragés dans une espèce de concours lâche à la haine. Sans parler des affiches, des publicités, partout, pour les paris, dans un fantastique amalgame de pauvreté infectée, d’argent violent, poussé à son paroxysme vulgaire, et de richesse cynique.
Le feu dont parle « Red or dead », je l’ai connu à ma porte, dans l’allée. Juste au bas des trois marches. A trois, à quatre, à cinq, parfois six ou sept, nous disputions des matches, des matches par centaines, par milliers. Les voisins n’aimaient pas. En dépit de nos précautions, nos écrasions leurs platebandes d’un mètre sur deux ; nous étions surtout là, sans arrêt, le long du parking où tenait une dizaine de voitures quand il affichait complet, le soir. Le tournant de l’allée en arc de cercle n’était pas un tournant mais une droite, un terrain de bitume de douze mètres sur deux, peut-être deux mètres cinquante, maximum. A droite le petit parking buttait contre une haie de tuyas ; à gauche, s’alignaient les deux massifs étroits d’une maison divisée en deux adresses mitoyennes, deux portes dont la mienne, au 15. Parfois, nous décampions quand le voisin sortait en grognant après s’être contenu. Son fils jouait avec nous, le père se retenait. « Vous ne pouvez pas aller jouer plus loin ? ». Eh non, on ne pouvait pas, du moins pas vraiment. L’espace vert devant chez D. et C., les premiers voisins de l’allée, ne convenait pas. Ce carré de verdure planté d’arbres maigres, les pépiniéristes l’avaient bien pensé. Pas moyen d’y jouer sans casser une branche ou frapper contre un arbre. Toutefois, avec un peu d’imagination, on pouvait en faire une cage pour un gardien et simuler des actions, des coups francs, travailler nos centres et nos têtes, mais les tirs de loin (ici les tirs de loin commençaient à partir de 5 mètres) promettaient de la casse. Lever le ballon, jouer en hauteur écourtait à coup sûr la partie. Soit l’objet tapait dans une porte, un volet, un pot de fleurs, un rebord de fenêtre, un carreau, une gouttière, et l’on attendait le ruffian, soit le ballon s’envolait, disparu derrière une haie ou derrière un grillage. L’un de nous se dévouait par aller sonner ou enjamber vite fait le grillage. Que faisions-nous entre deux parties ? Les uns crachaient par terre, les autres parlaient d’outrances stupides, les frères s’engueulaient, toujours au détriment de l’aîné. Nous piétinions en retrait quand vraiment, les voisins n’en pouvaient plus. Pour faire un petit match, nous attendions qu’ils partent en course ou ailleurs. À l’école et au collège, le foot était roi et les adultes en limitaient la pratique. Une espèce d’anarchie footballistique débordait l’encadrement et la direction faisait la chasse aux ballons, ils ne passaient plus la grille. Mais à la pause de 10h00, à midi, et vers 15h00, la cour de récréation finissait toujours en terrain de foot ; la balle de tennis tenait lieu de ballon, parfois une boule de beach-ball. Le ballon de cuir, dès lors qu’il passait l’enceinte, finissait donc confisqué, interdit ou roulé dans une friche après un vol par-dessus la grille. Il ne durait jamais. Je ne parle même pas, quand nous étions dehors, des différents ballons dans lesquels nous frappions. Les ballons neufs ne servaient pas longtemps. Trop neufs, ils payaient leur lustre d’une vie écourtée. Les plus vieilles carnes, elles, à moitié dégonflées, tenaient plus longtemps. La peinture s’écaillait en très fins éclats, en ridules et craquelures, jusqu’à la mise à nu du cuir pelucheux des pentagones cousus. Parfois un ballon « tango » nous arrivait entre les jambes. Quand l’un d’entre nous se voyait offrir un ballon, flambant neuf et en cuir, il le gardait, le plus souvent, à domicile, dans sa chambre, craignant que le cuir soit trop vite râpé par l’asphalte. À la rigueur, en le tenant bien contre soi, le propriétaire du ballon l’emmenait avec nous sur les grands terrains, à un quart d’heure à pied. À cette époque, l’AS Murigny ne possédait ni vestiaire ni autres baraques ou toilettes, mais deux grands terrains, le long d’un talus de voie ferrée. Nous entrions à un endroit discret, sous le grillage. Ceux de Châtillons entraient par une autre ouverture, de l’autre côté du stade, non loin du pont qui séparait les quartiers. Sur place, nous occupions la largeur du terrain derrière les buts. Insuffisamment nombreux pour jouer à onze contre onze, nous disputions des parties contre des bandes venues de l’autre côté des rails. Le contact verbal se limitait à deux mots. « Vous jouez » ? Deux vestes ou maillots tenaient lieu de but. L’herbe élargissait les possibilités mais, comme nous étions habitués au bitume, presque personne parmi nous, ne taclait. Je ne m’y suis d’ailleurs jamais fait lorsque j’ai joué en club. La plupart de mes copains de foot ne jouait pas en club, avec licence, adhésion et rencontres officielles. Ni Philippe, ni Cédric, ni Stéphane, ni Loïc, ni Sylvain. Et pourtant, j’en suis témoin, tous jouaient chaque jour et chacun montrait des qualités spécifiques ; de passe, de dribble, de style, de diableries techniques, et plus encore de roublardise et de ruse. Quand j’ai voulu, pour ma part, connaître le frisson du maillot, et plus tard, celui de la victoire (je me suis lassé des petits clubs où l’important c’est de participer), ils me chahutaient un peu sur mon inscription au « Stade ». Le stade de Reims, même si entre 85 et 87, le passé glorieux était loin, restait un club prestigieux. Jouer avec les rouges et blancs, entre 14 et 16 ans, fut une merveilleuse aventure. J’aurais aimé que ceux de l’allée me rejoignent, que l’on se retrouve à l’entraînement, en semaine, et surtout, que l’on garde en ligne de mire, du lundi au vendredi, le match à venir, que l’on partage ce frisson, cette attente, jusqu’au coup d’envoi sur le rond central, le samedi. J’ignore s’ils y pensaient, si leurs parents auraient accepté ou non qu’ils s’inscrivent, qu’ils fassent la démarche, mais je sentais bien qu’ils posaient un regard mélangé sur ma période en rouge et blanc.
Nous aimions tous des joueurs, des styles de jeu différents. À l’époque, la télévision ne diffusait pas les championnats étrangers, juste des extraits, le week-end, dans la fameuse émission téléfoot (que même  à l’époque, je l’admets, je trouvais, sans avoir les mots, terriblement franchouillarde et même caserneuse aux entournures). Rapportées d’outre-Manche ou d’outre-Rhin, les images sauvaient l’émission de ses teintes de studio nauséeuses et des terribles vestes aux couleurs passées, surmontées de visages aux verres fumés. Des buts spectaculaires, des actions incroyables éclaboussaient cette torpeur. Sortis de leur contexte, ces prouesses allemandes (les fameux boulets de canon de Augenthaler, les têtes du buffle Rubesch), les tricotages espagnols et italiens, les chevauchées anglaises nourrissaient notre passion pour le BEAU JEU. La fascination d’époque pour Maradona par exemple, donne bien l’idée d’une sorcellerie des jambes et des pieds, sorcellerie passablement artiste, à quoi rêvaient les jeunes gens. Lob, petit pont, grand pont ou coup du sombrero ne valaient peut-être pas des buts, mais presque. Sur un geste, un rush, une cavalcade, un tir, un débordement, nos héros renversaient les stades. Cédric admirait Littbarski, l’ailier allemand aux jambes terriblement arquées ; pour ma part, Tigana représentait le fléau, l’exemple-type du joueur dévastateur, cauchemar des défenses adverses. Un infatigable arpenteur de terrain, un marathonien-récupérateur de légende, le plus grand des numéros 8. Son débordement dans les prolongations de la demi-finale de l’euro 84, à 2-2, reste dans les mémoires. Je garde l’image d’un homme qui disparaît littéralement hors des limites du terrain pour aller achever une bonne fois, plus loin, dans le noir, son adversaire. La course de Tigana au fin fond des prolongations, son centre en retrait, Platini n’a plus qu’à pousser la balle au fond, reste à mes yeux l’image d’un assaut inédit semblable, dans la boxe, au KO obtenu à la toute fin du quinzième round, sur une accélération irréelle.
Quant à l’alliage de camaraderie, de ferveur, de liesse soulevée par ce jeu à 22 joueurs au centre d’un stade, j’en trouvai l’exemple idéal dans la saison du Everton FC, durant la saison 84/85 où le club remporta Championnat, Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, en pratiquant avec un panache extraordinaire le football caractéristique du jeu anglais : le célèbre « Kick and Rush ». Du résumé de leur saison ravageuse, des extraits diffusés de leurs déferlements sur les défenses du Bayern, du Rapid de Vienne et des clubs anglais, demeure l’image d’un enthousiasme de plein fouet, des visages exaltés et souriants fonçant sur le but adverse comme dans une caricature de hordes barbares à l’instant d’un massacre. Les « Tofees » emportés par Reid et férocement galvanisés par leur manager Kendall, inscrivaient en lettres de feu l’énorme fraternité que le plus haut football porte à incandescence. Ils ne gagnaient pas seulement, ils faisaient sauter la victoire à grands coups, à grands ballons centrés en l’air, toujours plus haut. La menace d’Everton grondait toujours du milieu pour finir sur les ailes, et alors, quels centres... Soudain, presque sur la ligne de touche, Gray ou Sharp piquaient des ballons qui montaient à une hauteur anormale, presque inutilement haute, sinon que les joueurs d’Everton signaient là, par cette outrance dans le jeu d’altitude, par des ballons aériens que nulle tête d’attaquant ne pouvait atteindre, une barbarie artilleuse comme un grand dessin de victoire tracée dans l’air avec le ballon. Lorsqu’ils marquaient un but, ils le fêtaient de la même manière, en formant à deux, à trois, à sept, des statues sauvages et victorieuses. J’aimais tant Everton, cette saison-là, car ce n’était pas un club anglais mais l’équipe type de la victoire même, de la jeunesse de la victoire et la plus fraternelle, la plus chaleureuse, la plus fière, la plus explosive, la plus joyeuse, la meilleure des meilleures.


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