Nicolas Rozier
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Kes, Ken Loach

4/23/2021

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L’heure et demie passée avec Billy et Kes, son faucon, nous tient sous le ciel du Nord, dans le Yorkshire. Le réalisateur champion des récits ouvriers et des immersions dans les milieux pauvres, en capte ici, plus que jamais, la lumière crue. Celle des réveils matinaux et des aubes à rallonge. Mais ce ciel blanc n’est pas seulement dur et austère, il rayonne en contrepoint des étendues de verdure, il donne son fond immuable aux prairies d’usine que le réalisateur longe et caresse de son objectif. Les lieux de transit où Billy court et s’élance, entre une errance et deux retards à l’école, offrent des cadres de choix. Vallons, sous-bois et puits de mine enchevêtrent leur milieu. S’ouvrent à nous les herbes folles des gorges suburbaines, les ruines de fabrique où le vagabond/semi-écolier ne se déplace qu’en courant. Ken Loach imprime à son film ce rythme d’école buissonnière, de détours et de crochets à la crête des talus. L’enfant s’y ébroue, et fouille littéralement dans les feuilles mortes, entre les arbres et les trous d’eau, de quoi jouer. D’un bond géographique, en quelques enjambées, Billy passe de sa rue de briques aux prés et aux arbres. Cette vitesse de mutation dans le paysage de Kes, unifie par le gris du pavé et le marron de la terre, une image de ville où subsistent dans une atmosphère de camp ouvert des échappées et des points de fuite. C’est par l’une de ces sentes que Billy, dans un champ privé, approche le pignon d’une ruine. Au préalable, il avait repéré les faucons, les vols et le nid. Gravissant le mur de cette bastide hors du temps, comme éloignée au fond d’un terroir moyenâgeux, Billy accède au nid de faucons et emporte Kes avec lui. C’est le début d’un amour pur comme on ne peut le concevoir, sinon dans ces espoirs brûlants de cœur et de solitude où un enfant aime à l’abri des regards. La clandestinité de cette passion entre Billy et son oiseau est aussitôt en danger à la pointe de son prodige. Nous assistons à l’apprivoisement respectif, à l’adrénaline du dressage, à l’extase aérienne entre l’apprenti fauconnier et son oiseau. Le vautrement et la violence du quotidien sont un temps renvoyés à leur néant. Au spectacle de Billy avec son faucon, Ken Loach nous offre des séquences décrochées du temps, hors d’âge, où la noblesse de Billy et du faucon se révèle à l’unisson. L’apprivoisement est bilatéral. Billy n’est plus du tout ce vaurien maigrelet aux allures de vagabond chapardeur. Le visage calmé, lavé des grimaces coupables que tout lui impose, famille, école, aussi le négrier pour lequel il distribue les journaux, Billy, dans les hautes herbes, s’illumine en faisant tournoyer l’appât de l’oiseau. Billy est filmé avec une délicatesse princière ; et il semble ne plus y avoir de film et de tournage, mais ce que souhaitait sans doute Ken Loach sans oser y croire : un temps suspendu, très ancien, une brèche immémoriale, un pur extrait de noblesse. Les photos du tournage attestent le charme d’une rencontre parfaite, d’un évènement d’intensité hors norme. À la vue de Billy et Kes, une force très rare se libère, puissamment dégagée des yeux qui se cherchent puis se fixent. La transparence du regard du jeune acteur sur l’oiseau ne se laisse pas oublier. Lors du face-à-face poignant du garçon et du faucon perché dans la niche de bois qu’il a créée pour lui, éclate toute la beauté frontale du corps de l’oiseau et de sa tête magnifique. Le crâne bombé de Kes, ses beaux yeux sombres, gravement acquis à Billy, ne forment pas uniquement un profil altier, une anatomie sidérante, c’est un don interloqué, l’élévation conjointe où la beauté et la bonté vibrent indissociables à la pointe de l’inexprimable. Ainsi la passion la plus pure prend-elle son essor, dans un battement de sang chaud bientôt ressenti comme le compte-à-rebours d’un sursis. Kes et Billy sont à deux le trait de majesté toujours déjà mort, pris dans l’étau des deux mâchoires sempiternelles : d’un côté l’école, c’est-à-dire le bagne pour petits, de l’autre le labeur à patron et horaires, autrement dit le bagne pour les grands. L’image de l’adulte mâle que Loach a beau couver d’une espèce de compréhension, voire de tendresse humaniste, est celle d’un corps vide, dont le poids de chair tracté ne sait tenir droit sans chercher à souiller quelque chose par ennui, soi-même ou, de préférence, la femme. Seul un professeur de Billy s’approche du jeune homme et en dévoile la valeur, à l’occasion d’une heure de cours où le garçon raconte son lien au faucon. Cette exception est d’ailleurs sans lendemain et sans durable soutien pour Billy. La communauté adulte, autour de lui, se réduit à une misère pécuniaire et affective criante au fond de la salle des fêtes où les intimités sont mises sur la table, presque troussées à la vue de tous, le tout enrobé, ensaucé de chansons grivoises. Le personnage du frère de Billy, Jud, type de la brute ordinaire, sans talent, sans goût, exhale la brusquerie odorante du mâle en série. La mère débordée et sans mari ne suscite pas plus de compassion. Saisie par Ken Loach à mi-pente de la flétrissure, elle se voit couler sans réagir et assiste presque complaisamment à l’abandon de sa dignité. D’abord à la maison, où son autorité défaite cède lâchement le pouvoir au frère aîné de Billy, puis dans cette agressive salle de quartier, abattoir de la sensibilité où une festivité braillarde et égrillarde mélange dans une même bauge de copulation latente les parents et leurs enfants aînés, endimanchés pour les comices des idylles sinistres. L’image bouffie de la mère de Billy tirant sur ses bas comme sur le dernier fil de sa respectabilité, c’est le rite d’une déchéance à rire gras ; quelque chose de pire qu’un viol dans la suée des fêtards à gros nœuds papillons. Ken Loach ne cesse d’éclabousser son jeune héros, d’accentuer l’épouvantement préinscrit dans ce beau visage où semble froncer quelque traumatisme ou effroi d’avance. Le choix de l’acteur, David Dai Bradley, est magistral. Le visage du jeune Bradley porte toute cette histoire avant même qu’elle soit racontée. Il ne semble malingre d’ailleurs qu’entouré des lourdes mâchoires de l’appareil civil, institutionnel et parental. Lancé dans les chemins de traverse, il prend toute sa mesure, devient semi-ailé, à l’image de son faucon. Le personnage de Billy semble non le dernier d’une famille pauvre mais un enfant né des taillis qu’il arpente d’ailleurs avec frénésie. Il est dans son élément et c’est lui qui enchante les parages. On le rejette d’ailleurs négligemment comme un gibier familier des environs que l’on chasse du chemin. C’est donc tout naturellement que cette créature des marges de la ville se lie à l’un des siens : un faucon crécerelle dans toute la majesté de son espèce. Comme Billy, Kes est un regard, un bec, des plumes, et arbore cette fixité solennelle et mutique dont l’homme n’a jamais su que faire : il y entre trop de tendresse en feu, trop de force découpée à bords francs sur fond de ciel. La bauge sans appel farcie d’outres pesantes et de mobiles abjects où l’on reconnaît sans conteste un extrait de civilisation occidentale pivotant autour de son axe laborieux et salarial avec son impensable collection de carcasses mises là, à leur poste, à faisander, dépérir et haïr, régurgitant par spasmes de week-ends et de vacances les jus amers de protestations castrées, noyées dans les borborygmes de l’exténuation générale, cette horreur massive et inattaquable, n’entache pourtant rien de ceci : quand Billy regarde son oiseau, Kes lui rend son regard. Et c’est un serment d’absolu irrévocable entre les deux êtres.
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