Nicolas Rozier
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Frank Auerbach

5/26/2022

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En 1999, peut-être en 2000, la peinture de Frank Auerbach me saute aux yeux dans un ancien numéro de la revue « Art studio ». Par leur prédilection pour les marges de l’excellence, ces pages parlaient à voix basse aux lecteurs patients, dans un climat de luxe inquiet propice à l’exploration des cavernes de peintre. J’y trouvais donc, au milieu d’un dossier sur le portrait, un tableau du peintre anglais d’origine allemande. Une origine d’importance quand l’on sait la tradition, la spécialité néo-fauve, après-guerre, des peintres germaniques tels que Baselitz, Lupertz, Immendorf ou Kiefer. Si Auerbach, envoyé en Angleterre, quitta l’Allemagne en 1939 et ne revit jamais ses parents, sa peinture n’en porte pas moins un accent germanique. Un hiératisme à part entière, une résurgence géographique, tellurique, de l’Allemagne des peintres. Un fond de rudesse ferreuse. Par son nom de frères ennemis unifiés, Auerbach-l’Anglais annonce l’art anglo-saxon d’un jumelage du génie anglais et allemand. Depuis Cobra avec Asger Jorn, Bengt Lindström le Suédois, ou encore le Français Eugène Leroy, nul autre peintre n’avait ouvragé une peinture si épaisse, des empâtements de couleurs si lourds, où peindre revient à sculpter au pinceau. Ainsi, dès le début des années 50, Auerbach, presque contemporain d’Eugène Leroy, de l’autre côté de la Manche, se lança dans la bataille nordique de la matière, dans ce désir à corps perdu pour la couleur épaisse. Une œuvre accompagnée, à Londres, par deux autres peintres forts en surépaisseurs picturales, à savoir Lucian Freud et Léon Kossof. Mais l’imaginaire sensuel d’Auerbach se distingue aisément de ses contemporains. Non granitée, comme chez Leroy, en sédiments pariétaux, en patiences décennales, en crépis abstraits, la peinture d’Auerbach exalte, en mouvements d’écharpe véloces, les propriétés de plomb souple de la peinture à l’huile. Peu enclin aux dessins libres et barbares d’Asger Jorn ou au primitivisme lapon de Lindström, Auerbach dessine à traits fins avec l’épaisseur. Comme chez Lindström, les bourrelets et emplâtres, enchevêtrés et touillés, relèvent du bas-relief, y atteignent en de glissants magmas des déchiquetages miraculeux ; sinon que le Suédois, avec son trait large, son graphisme élémentaire et ses couleurs violentes, cherche l’union sacré d’un hurlement coalisé où le tableau fait bloc de façon révulsive. Auerbach, lui, doit moins à Cobra qu’à un classicisme féru de proportions et de clair-obscur. Son œuvre est composée de portraits, de bustes, parfois de nus, peut-être sous l’influence de Freud, et de paysages. Restreints, les sujets naissent en atelier, dans son fameux « studio » de Camden Town. Tous, ils sont de la ville, corsetés dans un jeu de lignes brèves, une économie de moyens liée à la ville, à un geste peint inspiré de son rythme brusque, à une recherche d’angles durs qui semble le propre d’une modernité audacieuse, en peinture, depuis Picasso. Les paysages d’Auerbach paraissent des solos, sans visages, du même bréviaire déployé par l’artiste pour modeler ses portraits. La ligne à visages, travée creusée par une brosse de taille moyenne, s’y repose de la courbe, des chicanes et lacis de la tête, pour s’adonner, en un jeu de droites entrecroisées, aux panoramas de poutres en lesquels Auerbach peint son quartier ; un horizon de lignes et de barres semblable à un plan tracé dans les airs, comme si, depuis les toits de la ville, s’élançait le projet inachevé d’une nef céleste, toute géométrique. Lorsque la ligne d’Auerbach regagne l’atelier, c’est pour reprendre la grande affaire du peintre : le visage. La ligne épaisse du peintre, qui s’effile rarement mais peut se ramasser en nodosités, en lignes-taches, en noisettes sombres, rêve en acte le modelage noueux, énergique et complexe, d’une peinture « en une prise ». En quelques lignes de force où le geste inscrit sa chance, Auerbach peint des portraits d’après nature. Motif maître de ces tableaux instantanés ou stratifiés par des années de travail, le visage humain, les cavités des orbites, les encoches du nez et des lèvres, mais aussi la tête, le poids de la tête mis dans l’arrondi du crâne, font le microcosme essentiel dont Auerbach n’a jamais quitté le cadre. Les modèles du peintre sont les mêmes depuis des décennies mais un principe altier semble avoir toujours prévalu sur les enjeux de la ressemblance. Ni personnes, ni personnages, les visages d’Auerbach sont des figures de tableaux, une espèce à part entière, née de l’observation, de la scrutation, et d’un désir oculaire que rien n’assouvit, jamais à fond. L’expression, dont on pourrait penser qu’Auerbach, peintre visagiste, fait grand cas, reste en sourdine. Auerbach la fait tenir dans une gravité indécise, à la fois sombre et fière. Je n’y pense pas en regardant les portraits, pas plus qu’Auerbach ne doit s’en soucier, lors des séances de pose. Elle gronde anecdotiquement comme un décor arrière du modelage coloré. Le peintre concentre son effort sur une poigne singulière. L’ambition d’une touche longue, d’un toucher royal, ensorcèle sensuellement les filaments écartelés par ses brosses. Auerbach travaille à la motte de peinture à l’huile extra-fine, mais en orfèvre. Comment faire ? lance au regard chaque toile où semble brandie, en même temps qu’une image d’art, la preuve d’un effort expert. En recommençant, en reprenant, en corrigeant, en raclant le tout et redémarrant à zéro si nécessaire. Possédé par un rêve antique, minéral, de sculpteur converti à la peinture, Auerbach traque l’accent d’une beauté élémentaire, égéenne, de celles qui devaient paraître, à l’aube, au détour d’une crique, puis revenir le soir, entre les colonnes des temples. Une splendeur de portique encadre invisiblement ces portraits sans pays. Dessiner avec une couleur bitumeuse, revêche au trait ou à la ligne, lorsque l’image cède au dépassement de soi de l’artiste, donne lieu à de vrais avènements. Les visages inspirés de E.O.W (Estella Olive West), de Catherine Lampert, ou encore les « reclining head of Julia», mannequins à têtes très peu pivotantes de l’atelier d’Auerbach, annoncent un rêve de carrossier maxillo-facial. Une manie luxueuse d’armurier-sculpteur chargé de ciseler des heaumes de parade. Chaque tableautin révèle un Michel-Ange moderne que la frénésie d’art aurait fait buriner son David, lui creusant à la face des orbites d’autant plus altières que trop caves ; lui cherchant, au modelé, un ombrage de plus, presque de trop, capiteux comme du maquillage, mais un maquillage né de l’ombre. Ces portraits dont le crâne, si scrupuleusement bombé par le peintre, confine au casque d’armure, jettent un pont entre la sculpture de la Renaissance, les éphèbes de la Grèce antique, et les statues d’Arno Breker. Auerbach cherche dans le visage l’arbre sommaire autour duquel s’ordonnent les traits, l’éclair modeleur dont le peintre rejoue le zigzag, le hiéroglyphe facial. Car les amas et bourrelets de peinture vrillée à la brosse, les flammèches et frisures dont le peintre agence les pointes recourbées, les entretissant ou les desquamant en de fines résilles, multipliant les jeux d’écorchement entre des strates pareilles à des pulpes croisant leurs fibres, sont pour l’œil un délice au moins florentin où la peinture sent la charpente d’atelier et le grand maître. La « peau de peinture » d’Auerbach possède la virulence des choses exhumées après un long isolement et des soins mystérieux. La qualité de ces remous incisifs sur toile ou sur panneau invente une majesté luxuriante dont le seul empâtement ne suffit pas à rendre compte. Le coup de force du peintre repose sur cette part de magie outrancière née de l’impact languide, à la fois hautain et orgiaque, de ces plâtras élancés. La sensation de luxe noueux perdure, son mystère reste entier lorsque le regard s’attarde, comme je l’ai vérifié sur pièce, à la Royal Academy of Arts, lors d’une rétrospective du peintre en 2001. Auerbach offre à la matière peinte l’un de ses destins, l’un de ses paroxysmes en souffrance. Soudain la solitude et les fastes éperdus de la couleur seule et sans emploi, à la sortie du tube, exultent dans un vigoureux talisman où les ridules, les berges et les stries du pinceau, accrochent et lissent des finesses de linéaments et de cils, propres à éveiller des profondeurs d’une vague de couleurs subtiles, d’une empreinte de séisme parfaitement figée et tendue à la contemplation indiscrète, les traits fins d’une face antique où le visage humain, empreint d’une énigme martiale, d’une indéchiffrable grandeur, le dispute au masque. Cette face aux manières tannées, comme ourlée de cuir fondu, pleine de silence et de réserve, hiératique porteuse d’un loup vénitien aux finitions de greffe, cet ombrage de poète modelé dans un coup de vent, Auerbach le ratisse, le peigne et le lisse si bien, du crâne aux pommettes, que sa raideur lustrée évoque les reflets porcelaine d’un bel embaumé, d’un gisant redressé. À Londres, je notai qu’Auerbach ne s’en tenait pas à l’huile, à la richesse gavée de cette reine des couleurs. Des toiles à l’acrylique, matière plus récemment expérimentée, figuraient en bonne place à la fin du parcours. Le goût de l’immédiat avait dû tenter le peintre, ainsi qu’un aspect émaillé dont la fraîcheur inattendue m’a ébloui. Sur des toiles de petite taille, la charge pigmentaire, la densité et l’éclat de cette acrylique, peinture de pointe dont je n’ai jamais revu la radiance, coïncidaient avec les études les plus avancées de l’artiste. La combinaison de cette peinture tranchante, par son éclat de vitrail et sa nervosité de mercure coloré, sublimait la semonce moderne de ces tableaux d’avenir. Il s’agissait de visages, toujours, à n’en point douter, mais de cette sorte de faces dont le grand dessinateur Auerbach a toujours voulu faire sauter la matrice, pour y mettre son visage de peinture, autant dire cette griffe, ainsi déroutée, dans ses derniers tableaux, de son devoir de bouches, d’yeux et de nez. Dans le bréviaire de tessons qu’était devenu le visage, pour Auerbach, j’ai vu un avenir du portrait ou de son libérateur solaire, quel qu’en soit le nom.


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