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Buzzcocks

4/14/2021

5 Commentaires

 
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Ma découverte du groupe, à la fin des années 80, fut une révélation. Dans une bourrasque, je reçus la terrible unité de style, le trait coupant qui distingue tous leurs titres. Sous les airs d’un groupe outsider, légendaire sans conteste mais qui n’a jamais rempli un stade, le groupe de Pete Shelley et Steve Diggle a réussi ce phénoménal tour de force de devenir et rester, durant plus de 40 ans, dans cet art hautement concurrentiel du punk, le meilleur. Non, jamais je n’avais entendu, avant cette compilation sur cassette donnée par un copain de lycée, peut-être en 1989, un rassemblement d’ingrédients aussi magistral. Car les premiers hymnes tendus et teigneux, Boredom et Breakdown, tels des refrains inventés durant le blitz, avec leur espèce d’alarme intégrée, à la guitare, reconnaissable entre toutes, annonçaient des morceaux autrement fignolés, inoubliables, immédiatement mémorables, tels que Nostalgia, Lipstick, Paradise, Noise annoys, Fiction romance, I dont mind, Paradise, What do you know… le nombre de titres imparables est sidérant.
La voix de Pete Shelley est l’instrument premier du groupe, la vrille haut perchée où les chansons prennent leur vitesse, leur manière d’élan décoché, leur caractéristique fusante et ricocheuse. Une voix de quartier et d’immeubles calibrée pour cet esprit de dépêche et de messages affolés. Avec une outrance soignée, le chanteur n’hésite pas à monter dans les aigus, à s’y rompre les cordes à l’unisson des guitares. Car la guitare électrique rencontre ici au plus haut son destin percussif, celui des riffs rageurs et minimalistes, pressés d’en venir au fait, d’une tonicité braquée et d’une combativité radieuse. Cette mise à bout suscite à coup sûr l’étrange fierté que l’on éprouve à l’écoute des Buzzcocks. L’engagement à fond et l’application font la différence. Cela vibre à l’oreille comme le son même de l’effort et de la dépense. Tout est dans l’attaque à manches cabrés, sèche et rapide. De luxueuses embardées où pointent, le plus souvent, l’air du temps peut-être, mais surtout les éternels débats intimes ; l’accent d’une peine, d’une énergie chagrine, d’une poussée désenchantée, état de panique altière telle qu’on la trouve dans Nostalgia : « And although this may sound strange my future and my past are presently disarranged and i’m surfing on a way of nostalgia for an age yet to come ». Un charme, ombrageux et intime, hante la structure offensive des titres, au point que ces cartouches orfèvres s’imposent comme les plus parfaits poèmes de la fin du XXème siècle. Les Buzzcocks, plus d’un siècle après Baudelaire, donnent une suite aux Tableaux parisiens. Natifs de ces friselis électriques dans l’air des grandes villes modernes, ces tableaux de rue et de désarrois propres aux enfilades de buildings reposent sur l’état le plus concis du dictame couplet/refrain. La syncope, le sens de la syncope, du giflé, du cinglant, les voilà quintessenciés, portés à l’état de métal, à l’énergie agressive, fascinante, des amplis à lampes. Le label Buzzcocks, c’est la montée en puissance, le genre heurté, un sens aiguisé des paroxysmes et toujours une trouvaille mélodique de la famille du crève-cœur. Les rafales désenchantées de Ever fallen in love ; le matraquage à la caisse claire de I dont know what to do with my life ; la chevauchée du solo à paliers et reprises acharnées de Noise annoys, l’effet de sirène ou de ressac omniprésent dans Fast Cars, Boredom, les changements cassants et les voltes ravageuses, la palette de ruptures spectaculaires employée par le groupe dessinent un vaste album d’intensité-modèle, d’intensité-exemplaire, de percée jusqu'au-boutiste. N’ayant aucun talent pour la musique, aucune connaissance de sa technique, j’ai tout reçu en naïf impressionnable : les abois, les émeutes ciselées, les messages en catastrophe, les crises. Ces sprints, ces déferlements, ces trombes, ces assauts racés, ne sont pas de colère mais d’un chavirement tenu, d’une rêverie abrupte, parfois d’une désolation grimée sous un fard de dérision. La grande affaire de l’amour est partout ; c’est l’incendiaire de prédilection. Dans la ritournelle de Love you more, dans l’hymne mondial de l’amour piège Ever fallen in love (with someone you shouldn’t’ve), ou encore dans ce titre de Shelley en solo : Waiting for love. Du chanteur poussant à fond ses vocalises sans se départir d’une pudeur très smart, et même très digne, je garde l’image d’un artiste véritable, campé sur ses deux jambes, concentré, appliqué à son chant, soutenu par le frère virevoltant Steve Diggle. D’une ferveur plus démonstrative, l’alter ego de Pete Shelley donne un contrepoint vocal aux Buzzcocks. Plus rocailleux et rageur, plus crié et frontal, Steve Diggle relaie son frère de scène avec des titres incontournables des setlists tels que Why she’s a girl from a chainstore, Harmony in my head ou, plus proche de nous  Sick city sometimes.
A Reims, seule « Radio Primitive » diffusait leurs titres. Fin 1992, l’annonce d’un concert passa en boucle, très enlevée et haletante. L’accent était mis, à raison, sur la légende du groupe et ses titres fracassants venus des premiers âges du punk. Le groupe, autour de son duo phare Pete Shelley et Steve Diggle, serait en concert à « L’Usine » le 12 février 1993. Ce fut un compte-à-rebours. Je me souviens de l’affiche, sur les murs de la ville, du nom du groupe et des deux Z en éclair, noirs sur fond jaune. Il y avait de l’électricité dans l’air. Un moment très spécial se profilait. Afin d’écoper au mieux la rafale, je me procurai le seul CD accessible à l’époque, à Reims, dans les bacs, à savoir l’anthologie Operators manual, un vrai gala de l’absolu en 26 morceaux écoutés en boucle. Ma dette fantasmatique envers ce disque est béante. Car ces rafales usinées par une finesse de goût impensable, ces blocs de style, ces orages comprimés sont autant d’ouvertures sur des rues auditives, des impasses, des caves, des lieux de nuit et des jetées sur la mer. Le groupe et sa cohorte d’hymnes débordaient, par leur influence, la sphère musicale. Pêle-mêle se bousculaient des images : une vie menée à haut-rythme, une vie d’étapes sautées, une nuit de rôdeur, de loup et d’artiste. Une aura collective, autour du groupe ; le monde des Buzzcocks, la faune hagarde, perdue ou flamboyante de leur musique. Les héros de leurs textes. Les poètes à cran, anonymes, entrevus à la croisée des refrains et des couplets, à savoir Shelley et Diggle eux-mêmes qui se prenaient pour sujet, eux ou leurs proches. Les Buzzcocks à Reims, à l’Usine, ce serait l’Angleterre de toujours, l’accent british, plus encore un profil de copains d’élite ; le Club des cinq passé à la guitare. En direction de Reims, ils faisaient signe du haut des falaises de craie.
Le soir du concert, je l’ai évoqué après la mort de Pete Shelley en décembre 2018. Nous étions 150, peut-être 200 autour de la scène, avec l’impression singulière, j’en garde le souvenir très net, d’un privilège. Plus qu’un grondement, une confiance circulait ; le pressentiment d’un niveau incroyable. Et ce fut plus grand encore. Subjuguant et pailleté de vitamines rares. Une heure au milieu des feux croisés d’un rêve vivant. Pete Shelley et Steve Diggle en noir, sous les 5 ou 6 projos blancs et jaunes, jouant avec un appui, une force de la première heure. Les voix tournantes au milieu des tempêtes électriques, le fouet des baguettes claquées au métal cerclé de la caisse claire et toutes les mitrailles coupées par de brusques virements à angle droit. C’est bien simple, entre deux assauts, nous nous regardions en serrant les dents. Et quand, au carton d’émeute de la grosse caisse, remontait de sa fournaise oubliée Ever fallen in love repris une fois, deux fois, puis trois fois, puis quatre fois, dans une furie où chacun, eux et nous, les 200 ahuris, nous réembarquions plus soudés dans la barge archi-fraternelle, tous les drames présents et à venir d’un combat mené à rebrousse-peine nous ratiboisaient. Dans l’attaque débordée, toute l’armada resserrait ses vaisseaux, et vous compreniez ce que voulait dire SE BATTRE EN BEAUTÉ. Les bombes racées volaient de partout, se recouvraient, repartaient en vrille, en écho, en bandes fusantes, en rushs et en déferlantes. La ville labourée d’adieux en plein vol ouvrait en fleurs noires, en pétales déployés, à la poigne mélodieuse, de fantastiques sauvetages. Ce grain de fougue foudroyée et refoudroyée, qui pourrait l’oublier?

5 Commentaires
Meyer sarfati link
6/17/2021 11:36:57 pm

Des textes qui redessinent les mots ,les brûlent et les enchantent pour repeindre nos pensées et enflammer les crânes. Une écriture qui explore les angles morts abandonnés par les pensées consensuelles et redonne goût à la lecture .

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Rozier
6/19/2021 04:12:20 am

Cher Meyer Sarfati,

Merci de votre commentaire. J'apprécie notamment votre perception des "angles morts abandonnés" que j'ai en effet tendance à placer au centre des textes.

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Meyer Sarfati link
6/17/2021 11:40:52 pm

Il me semble avoir déjà envoyé un commentaire sur ma joyeuse surprise de lire des textes incandescent s

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Webmaster
6/18/2021 05:12:37 am

Merci !

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Delphine Duroy link
6/18/2021 05:28:07 am

Cher Meyer Sarfati,
Éditrice de Nicolas Rozier, à la lecture de votre commentaire tout à fait juste, je me permets de vous recommander chaudement son dernier livre, le roman "D'Asphalte et de nuée" éditions Incursion. Vous pouvez vous le procurer directement sur le site des éditions, livraison express et très belle expérience de lecture garanties.
https://www.editionsincursion.com/commander.html
Cordialement, Delphine Duroy

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