Découvert lors de la journée du patrimoine à l’automne 2020, le Manoir de Couesme, situé dans le parc Normandie-Maine, condense en pierres et en paysages mon attachement pour le bocage et l’atmosphère buissonnière propre à ce territoire entre Normandie et Pays de la Loire, dans cette frange où l’on ne sait plus si l’on est encore dans l’Orne ou déjà dans la Sarthe. Le Manoir dressé au centre d’un bocage élargi, où de lointains bosquets et charmilles brouillent et diluent la perspective fuyante des champs, enrobe le visiteur d’une verdure des confins. Nous sommes ici dans l’un de ces retraits géographiques où finit un pays sans pour autant que s’annonce un autre. L’ancienne demeure seigneuriale se révèle un promontoire à rêverie, une île entourée de vert, une citadelle discrète ouverte sur quatre horizons de lumière douce. Autour du Manoir et de ses dépendances, les propriétaires installent, une fois l’an, des sculptures. Cette exposition annuelle avait débuté avec des épouvantails qui hantent encore les granges. Ces épouvantails demandés à des artistes tiennent salon sous les poutres. Insolites sous les faisceaux printaniers, on devine sans peine qu’ils changent d’humeur selon les lumières. L’éparpillement des silhouettes rappelle le film Les Fleurs de sang de Franck de Felitta ou encore The Wicker Man « Le Magicien d’osier » de Robin Hardy. Cette archive fantastique latente n’est pas pour me déplaire. Non que les propriétaires du lieu m’aient invité à peindre des épouvantails, à représenter cette faune repoussoir sur toile, mais il est certain que dans le dessin de mes figures, quelque chose de figé, de schématique, de cabossé, de réversible, s’apparente par quelque endroit à ce support imaginaire de l’épouvantail. Au dehors, la vaste cour, presque une nef à ciel ouvert, donne l’effet d’un promenoir latent et d’un parvis antique repris par les herbes. En passant d’une rive à l’autre des bâtiments, un sentiment de traversée, une pointe solennelle accompagne vos pas. Cette impression ténue reprend partout, en chacun des angles du domaine, toujours ouvert sur des échappées visuelles. Voilà quel sera, non le thème auquel j’assignerai la série de peintures envisagée au Manoir de Couesme, mais une part de l’atmosphère qui soutiendra ma forge imaginaire. Mes grands formats de Couesme ne seront pas des paysages locaux, mais ils en porteront la teneur d’ouest, l’influence par imprégnation, cette lumière d’aventure qui donne au relief cet éclat de belles finitions. Plus encore, les arcades où m’accueillent les propriétaires du lieu semblent conçues pour de grands travaux peints. Réunissant l’abri en dur d’un intérieur et la luminosité du plein air, ce balcon sur le ciel et la verdure, au ras du jardin, est un formidable poste de peintre. C’est le contraire d’un contexte envahi par un voisinage de formes immédiat. L’écrin de pierre, doublé de l’écran du ciel, préfigure au mieux le rectangle uni des toiles. Plus que l’arabesque et la sinuosité végétales, je retiens les paysages à vastes plans découpés offerts par l’environnement du manoir. La gamme de plans verts des champs et prairies, le plan bleu du ciel, ou mieux, les pans d’une perspective écrasée, toute picturale, rejoignent ma prédilection graphique pour la géométrie, le tracé brusque et les contours accidentés. Ébauches de bâtiments, débris d’objets ou de choses informes me viennent spontanément à la main, et le Manoir de Couesme exalte cette dominante minérale. La série à laquelle je travaillerai sous les arcades, provisoirement intitulée « Secteur ouest », reposera sur de grands paysages imaginaires mêlés de figures, compositions dynamisées par mon expérience et mon immersion dans l’ouest local. Aussi, on cherchera vainement des allusions anecdotiques au site. Les éléments représentés, s’ils ne sont pas indifférents, sont avant tout des éléments de composition. Figures, bâtiments, tours, structures, vaisseaux, appareils ou machines indéterminés, arches, ponts, les formes-types de mon attirail sont les propulseurs dynamiques des compositions. Encore une fois, le paysage local ne fait pas l’objet d’une reproduction ou même d’une citation explicite dans les toiles, il m’offre un modèle d’énergie, une vigueur esthétique et une hospitalité atmosphérique exemplaires.
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