POÈTE RARE Cette prose d’effarement est l’oeuvre d’un écrivain et peintre qui pratique l’art du reflet. En effet, ses acryliques comme ses écrits sont d’une même encre, trempée dans le « lyrisme des affres ». Son Tombeau pour les rares (Editions de Corlevour, 2010) assemblait vingt-sept portraits comme un « rébus d’apocalypse » où étincelaient d’une lumière noire les noms de Luc Dietrich, Jean-Pierre Duprey, Unica Zürn, Colette Thomas ou encore Paul Valet. Des noms errants qu’il convient d’attraper au vol, athlétiquement, puisqu’aucun effort n’a été réalisé pour qu’ils soient rendus visibles, accessibles ainsi que sont les livres qui s’éternisent sur les rayonnages, sans profit durable pour le lecteur. Nicolas Rozier nous est fraternel au même titre qu’Antonin Artaud sur lequel, à propos d’un de ses dessins, il écrivit L’Ecrouloir (Editions de Corlevour, 2008). C’est donc un poète rare, habité par le refus de céder à l’emprise des mercenaires, de succomber au temps de la vanité, cette époque dont il contemple les ruines et que son style, d’une suprême élégance, résume en forme d’abîme. De phrases effilées en traits aigus, Nicolas Rozier déchire toutes les gangues d’apparence qui composent désormais ce qui reste d’êtreté pour nous faire voir, d’un tout autre regard, « la trognerie débinée du trombinoscope mondial ». On le croirait répugné, gravement atteint de renoncement. Il n’en est rien et c’est la force poignante de cette prose. Alors qu’il décrit l’homme médusé, les forêts déclassées, « le pli de catastrophe » sous le ciel bleu, sa parole espère. Elle appelle l’enjouement, la bonté, l’amour. Elle redonne vie à ce qui est mort. Elle insuffle, comme le retour du grand air nietzschéen, un pointillé de possibilités, l’énergie de l’arbre, la puissance de tout cœur. Seulement l’hypothèse est étroite, de plus en plus étroite, et suspendue à des rages. « L’astre des anéantis est une suffocation qui respire ». Guy Darol, Le Magazine des Livres, juillet/août 2011. Quel beau livre que ce Tombeau pour les rares. Visuellement déjà, grâce à son large format et à sa sobre couverture noire sur laquelle les mots blancs du titre éclatent et s’évasent, tel un calice. Mais beau aussi par son contenu qui, malgré le nombre et la diversité des auteurs, présente une homogénéité assez remarquable.Le principe ? Vingt-sept auteurs qui ont profondément marqué Nicolas Rozier sont doublement revisités : par lui-même, tout d’abord, sous forme graphique, puis par un autre auteur qui, sur un mode biographique, hagiographique ou poétique, en trace un portrait-hommage. Une grande partie du charme de ce Tombeau pour les rares relève selon moi de son aspect paradoxal. En effet, il représente une étonnante alliance entre la sensibilité la plus personnelle de Nicolas Rozier, qui nous dévoile ici quelques-uns des pans les plus intimes de son jardin secret, et une forme d’universalité du ressenti dans laquelle nous pouvons tous nous reconnaître. Car des rares, c’est-à-dire des auteurs avec lesquels nous sommes indéfectiblement liés, malgré les siècles, les pays, les langues, les cultures, des écrivains, des penseurs, des poètes, avec lesquels nous vibrons dans une osmose que nous ne retrouvons pas avec les plus proches de nos proches, nous en avons tous, dans nos panthéons personnels. Que sommes-nous d’autre finalement, lorsqu’on nous ramène à notre plus simple individualité, que des cimetières virtuels que le temps qui passe se charge de peupler de tombeaux ? Les Rares que Nicolas Rozier salue ici ne sont bien sûr pas les mêmes que ceux que nous aurions salués, mais cela n’a pas d’importance : si le choix de tel ou tel auteur ne nous parle pas en soi, la raison pour laquelle il a souhaité lui ériger un tombeau ne nous laisse pas indifférents. Car, comme le dit très bien Michel Fourcade, citant Jacques Maritain, « il faut exister avec nos morts ». C’est cela que nous rappelle avant tout ce Tombeau pour les rares. Dans la galerie des auteurs célébrés, nous croisons des « stars » assez unanimement loués : Bloy, Villon, Baudelaire, Artaud ou Fondane (magnifiquement présenté par Charles Dobzynski), mais aussi des poètes plus discrets, moins connus du grand public : Alain Borne, Paul Chaulot, Gérald Neveu… Les illustrations de Nicolas Rozier, nerveuses, fantomatiques, cimentent magnifiquement le livre. À noter que, parmi la trentaine d’auteurs rassemblés autour du projet, nous retrouvons avec grand plaisir des personnalités telles que Guy Darol ou Marie-Claire Bancquart. Stéphane Beau, Le Magazine des Livres n°25, été 2010. |
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