![]() Il aime les rebelles, les dévastés, les suicidés de la société, Nicolas Rozier. Ceux qui ont fait de leur vie un défi à nos possibilités de vivre. Il aime leur poésie surcalcinée, pantelante d’authenticité suppliciée, celle des rares, de ceux à qui il a consacré un Tombeau, en 2010 (Tombeau pour les rares, éd. de Corlevour, cf. Lmda N°113). Aujourd’hui, dans La main de brouillard, c’est en complice fraternel qu’il rend hommage à Francis Giauque, poète maudit s’il en fut, né en 1934, en Suisse romande et dont l’œuvre est un bloc de douleur et de révolte contre une vie gangrénée par l’angoisse, atrophiée par l’incommunicabilité, mutilée par l’expérience psychiatrique. Un destin de solitude et de souffrance – « elle décompose » – qui, très vite, l’a fait se sentir frère d’Artaud, de Prevel, d’Essenine, de Nerval, de Holderlïn, de Pavese…, et auquel il mit un point final en se noyant dans la nuit du 12 au 13 mai 1965, à l’âge de 31 ans.Né de la matière même de ce monde de Giauque, et d’une troublante empathie pour l’homme, le long poème que lui dédie Nicolas Rozier module, décline, ausculte, au plus vif de la chair et du cœur, l’intenable d’une vie faite d’une frustration de tout et de l’essentiel. Une vie au centre de laquelle reviennent l’Espagne – qu’il aura aimée « jusqu’à être/devenu cette silhouette de brouillard/ que le vent fait chavirer/à chaque carrefour » – et la figure de l’amante impossible. Giauque était l’homme sans amour. « Personne n’était là pour lui dire/au premier tison d’extase/que ce ciel effilé qui entre au corps/ n’aime que l’orage et la nuit/n’est pas un ciel mais une femme ». Prisonnier du sablier de l’angoisse ou rejeté dans les grands fonds de la panique, c’est « avec des forces raclées/au néant de l’espoir » qu’il écrit. Parce qu’il a toujours été « trop tard ». D’où ses poèmes qui sont « des ravages/qui pivotent/des laves/qui bifurquent ». Des poèmes dont l’écriture au scalpel de Nicolas Rozier réussit à restituer le « chemin de lame », le « glas de boîte noire », le poids de réel désossé au tranchant de l’absolu. Richard Blin. Le Matricule des anges, N°174. Juin 2016. Les commentaires sont fermés.
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