Nicolas Rozier
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Le Vampire de Düsseldorf, Marcel Schneider/Philippe Brunet

5/14/2025

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En octobre 1975, "Le Vampire de Düsseldorf" paraissait aux éditions Pygmalion. Ce premier titre de "La Bibliothèque infernale", signé Marcel Schneider et Philippe Brunet, fut séducteur en son temps, il le reste aujourd'hui. D’emblée, le livre rouge et noir, flanqué des lettres blanches surmontant le négatif d’une photo du tueur, attire le regard par sa couverture agressive. Elle rappelle « Le nouveau détective », évoque une pochette d’album ou un livre illustré, voire une cassette vidéo. L’objet criard, au gabarit de brique, joue de la séduction des revues interdites, vendues sous le manteau. Le résumé et la présentation de la collection, au dos de l’ouvrage, semblent eux-mêmes à la limite du racolage. Une excellente préparation à l’effroi naît de l’ambiance saturée, à la fois capiteuse et malfamée.
Le personnage central, l’Allemand Peter Kürten s’était rendu célèbre, à la fin des années vingt, pour une suite de crimes abominables. Kürten ne tuait pas seulement en de terribles improvisations au couteau ou aux ciseaux, avant d’autres outrages post-mortem, il buvait le sang de ses victimes, ce qui lui valut le surnom de « vampire ». Depuis le paroxysme des mises à mort dans les cryptes des 120 journées de Sodome, je n’avais pas retrouvé ce grain d’atmosphère, de lumière basse et de catastrophe lugubre. Les scènes de crime sont traitées comme des images subliminales, à coups de flashs et de détails cruels. Marcel Schneider trouve l’exacte ligne de crête où la suggestion bat son plein. Il s’arrête là où l’imagination est lancée. Les meurtres sont racontés dans une langue corsetée qui alterne mentions crues et périphrases cruelles, une outrance sèche où l’horreur rougeoie d’autant mieux qu’elle se décline dans la sobriété des tournures. J’entends, dans la prose de Schneider, un récit de club entre messieurs à l’heure du cognac. L’auteur, bien connu des amateurs de fantastique, ne se refuse aucun excès pourvu qu’il coïncide avec les somptuosités de l’épouvante. Les faits, traités avec hauteur et peut-être avec une pointe très opportune de dégoût simulé, en deviennent plus dérangeants encore. Schneider trouve un registre nerveux, provocateur, presque impatient d’en venir au fait, qui évoque l’union dans une même voix d’un aristocrate et d’un chroniqueur de terrain. Par une sorte de mimétisme retors, la hargne du criminel imprègne les phrases. Dans leur mise bien coupée, le lecteur sent l’encanaillement éprouvé à les tourner. Comme si une part de la brutalité criminelle s’était déportée aux saccades narratives, octroyant une autorité équivoque à l’auteur en charge du récit. Au point que le moindre vocable, dans cette prose aux dents serrées, participe d’une ambiance générale d’arme blanche. Un reflet de coutellerie hante les rues ouvrières et les nuits tardives au bureau de police. Les relations conventionnelles entre le commissaire et son assistant, les variations d’humeur, presque « bon enfant », typiques d’un roman policier, ne sont que des intermèdes. Dans son duo d’enquêteurs qui rappelle Holmes et Watson, Schneider se limite au strict pittoresque. Il ne s’agit surtout pas de détendre l’atmosphère mais de maintenir un lustre fictionnel, et tant mieux si les clichés du polar concordent à l’histoire des deux hommes. Schneider façonne comme une œuvre d’art ce conte de terreur et se plaît à montrer la trame fictionnelle. La structure en chapitres elle-même ordonne comme un roman d’aventure les étapes du parcours criminel. Sous la forme de tableaux/chapitres, Schneider s’applique à raconter les crimes avec un art renouvelé de la montée en puissance. En amont de chaque meurtre, un préambule glauque revient sous la forme d’un thème, presque d’un leitmotiv, où le décor et les protagonistes diffèrent mais où reprend le même engrenage. Habile à mettre en scène l’accélération irréversible de la pulsion meurtrière, Schneider conduit son lecteur à l’issue fatale avec un sens aiguisé des détails funestes et des insinuations traumatiques, pointant toutes sortes d’éclairs, surtout dans les yeux du tueur. Une insistance marquée sur l’expression du regard, qualifie à répétition l’aura effrayante du vampire par ailleurs impersonnel dans sa mise. L’éclat terrifiant des yeux de Kürten revient dans les témoignages comme un phénomène d’exception particulièrement obsédant. Cette volte de ton et de regard, au moment du passage à l’acte, finit par prendre une épaisseur documentaire. Un trait de personnalité se dessine, inaccessible, à la limite de l’irrationnel. Manifestement, un type inclassable de rage s’y exprime. Les images de « M, le maudit », le célèbre film de Fritz Lang, reviennent en mémoire. Superposé aux images mentales créées par Schneider, le film tendrait à prêter au récit une plasticité expressionniste. Mais l’œuvre de Schneider privilégie la brume et la nuit opaque. En cela aussi, Kürten est un vampire. Invisible, il vient d’une nappe, brume ou brouillard, et ne fait qu’un avec les zones les plus malsaines ; comme si un perpétuel coupe-gorge se reconstituait autour de lui lors de ses errances. Aussi, l’atmosphère glaçante du récit doit moins aux jeux d’ombre angulaires qu’à un fond moyenâgeux d’hiver germanique. Schneider brosse un tableau des vices et des faubourgs très complet comme autant de stations dans un train fantôme. Les bords du Rhin et ses tavernes, les arrière-cours, sont réduits à leur plus simple expression, dans une scénographie puriste où d’exacts tableaux d’enfer jonchent les marges de Düsseldorf. L’angoisse culmine entre les boqueteaux et les terrains vagues ; Schneider restitue le grain mortel de ces croisements de pénombre où la peur étend son empire. Les pires alertes sont dépassées, le danger n’a plus qu’à surgir, il surgit. Dans ces décors noirs, les yeux du vampire et l’écarlate du sang sont les seuls à trancher. Kürten marche sans être vu et s’échauffe à rôder. L’état de rôdeur est déjà une avance sur la ration sanglante.
Le vampire de Schneider prend pourtant un relief tout cinématographique quand l’auteur passe du je au il et inversement. Les changements de points de vue assurent le modelage du personnage, sa mise en trois dimensions. Le murmure de l’assassin, comme lâché dans l’espace du livre, se multiplie en échos. Schneider parvient à mettre au point un timbre composite aux accents très convaincants. Telle que Schneider la présente, toute en modulations et coups de gueule, la vie intérieure de Kürten, mêlée de cynisme, de frustration et de sentimentalité, offre au lecteur une préparation nauséeuse au déclenchement du processus criminel. Les pensées prêtées au tueur correspondraient presque à un dessin sauvagement maladroit, d’une gaucherie repoussante, qui serait le monde de Kürten tracé par lui-même.
Un autre effet de réel contribue au trouble caractéristique de ce récit. Il provient de la photographie, en frontispice, du personnage historique, le tueur Peter Kürten. Le document noir et blanc agit au seuil de la lecture, puis son aura vénéneuse se répand lentement au fil des pages. Au départ, cette photo d’archive exhale un relent d’annales judiciaires, puis très vite, elle suggère d’autres images, des clichés d’autopsie, un cahier classé X. Enfin, elle revient durant la lecture, quand nous cédons à l’envie de revoir l’assassin, d’examiner ses traits à l’aune de ses actes. Les mots de Schneider, comme retrempés à l’image du tueur, prennent le lecteur en étau entre le visage d’un homme et son histoire. Le portrait valide les mots d’une sanction glaçante.
Parmi d’autres condiments, je me suis plu à déceler une ressemblance entre les traits de Maurice Schneider, professeur de lettres distingué, très collet monté, et ceux de l’acteur Peter Cushing, le célèbre docteur Frankenstein de la Hammer. Un même faciès de tourments secrets, verrouillés sous une stricte élégance. Les émois de Marcel Schneider ne sont pas les moindres qualités de ce livre. Ils affleurent dans la trame du texte, en particulier sous la forme d’un subtil dévergondage issu de l’oscillation délicate entre la parole crue et la périphrase. Çà et là, des mots cinglants, isolés, tranchent comme le fouet.  Une sorte de gouaille distinguée émane de ce verbe ciselé mais aussi très direct où l’exigence littéraire trouve le ton et la forme à magnifier les ténèbres, non sans adopter parfois les manières un peu rudes du reportage, d’autres fois les piques pleines de morgue d’un maître en son palais.
Basé sur les conventions de l’horreur, gorgé des saveurs du genre, ce récit possède la qualité fuyante, difficilement saisissable, d’une grande sophistication. Elle tient sans doute à la délectation d’un exercice de style porté au pinacle par un écrivain dans la maturité de son art, et à la préciosité violente de ce roman d’horreur idéal.


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